Menu principal
Documentation
Place et rôle de sainte Jeanne d'Arc entre nous et le ciel (partie 2) |
QUELS VŒUX POUR L’ASSOCIATION UNIVERSELLE DES AMIS DE JEANNE D’ARC ?
Depuis l’été 2005 une importante intervention chirurgicale a rendu indisponible notre Président René Olivier désormais en maison de repos près de sa famille. Le 8 Décembre 2005, le décès de son épouse, le Docteur Micheline Olivier a laissé notre président, outre la maladie, très meurtri par cette séparation. Madame Olivier accueillait chaleureusement les réunions de notre chapitre général, participant volontiers à nos discussions et servait Jeanne d’Arc auprès de Monsieur Olivier. Nous prions pour elle, sa famille et ses amis qu’elle laisse dans la peine. Nous prions Sainte Jeanne d’Arc pour notre président, pour que la providence lui permettre de voir l’Association continuer avec une relève qui, à son exemple, déploiera toute l’érudition, la compétence, et le dévouement sans faille apportés au service de l’Association. Notre association, durement touchée en cette année 2005, avec le départ de notre cher Colonel de la Ville Baugé, doit trouver dans sa peine, dans ses prières et dans l’espérance, le ferment d’un nouveau départ. L’exemple de René Olivier, le souvenir de Jacques de La Ville Baugé, tous deux infatigables et totalement dévoués à la cause de Sainte Jeanne d’Arc nous obligent à prendre le relais et faire pour notre Association tous les efforts dont nous sommes capables afin que 2006 voit nos convictions Johanniques atteindre le plus grand nombres et particulièrement les jeunes. Faire connaître Jeanne d’Arc, diffuser tout l’idéal qu’elle incarne, c’est la mission d’aujourd’hui de chaque amis de Jeanne d’Arc. Que chacun réfléchisse un instant sur ce qu’il peut faire pour finalement trouver du bonheur car Sainte Jeanne d’Arc est généreuse en grâces. Bonne et riche année 2006 à tous nos amis ! Pierre MAIRE.
PLACE ET ROLE DE SAINTE JEANNE D’ARC ENTRE NOUS ET LE CIEL (suite de la 1ère partie parue pages 10 à 12 du n° 186 3ème trimestre 2005)
C'est aussi la Sainte qui, en dehors des droits de chacun, et même à la place de ceux qui lui sont particulièrement chers, voit dans la nation la personne morale sur qui veille une garde angélique, l'espèce d'âme collective mystérieuse, d'admirable corps commun, à qui Dieu donne un rôle, au cours des siècles, qu'il conduit et qu'il protège d'une volonté particulière. Cette sorte de personne vivante, grâce à Jeanne, elle se dresse et se dessine, pour la première fois avec netteté, sur l'horizon des sentiments et des idées. Avec quel accent cette petite paysanne de France exprime l'amour de la France, le «sang de France qu'elle n'a jamais vu couler », c'est elle qui en témoigne, «sans sentir se dresser ses cheveux.» C'est la Sainte qui, vouée à une tâche de lutte nécessaire mais déplorée entre nations, voit pour les nations des tâches communes et sacrées, faites pour les hommes et pour le bonheur de l'humanité. Elle essaie de détourner les peuples des vaines guerres et les oriente, s'ils ont une impatience de forces inquiètes, à les déployer vers les nobles missions qui peuvent exiger l'action de celles-ci. Elle parle à Philippe de Bourgogne (7) comme à un Anglais : « S'il vous plaît de guerroyer, dit-elle, allez avec les Français contre les Sarrasins! Croisez-vous ! » Elle veut transporter par le monde, là où elles peuvent être nécessaires, les énergies d'assainissement dont l'emploi avait été tragiquement requis sur le sol natal.
C'est la Sainte de la Patrie, de sa Patrie. -Sainte de cette chose paternelle par excellence, comme son nom lui-même vient le crier, la Sainte de cet élargisse- ment si désintéressé et si pur du quatrième commandement de la Loi divine. C'est la Sainte d'un drapeau - «quarante fois préféré», le mot est d'elle -à l'épée qui le protège ; un drapeau que les Voix «lui ordonnent», et avec quelle autorité, « de porter hardiment », de ne pas craindre de mettre en avant, à sa juste place, revendicatrice, avec cette image, révélée, du Roi du Ciel trônant sur l'arc de la Paix, garant, auteur et redoutable contrôle des droits des rois de la terre. Derrière le drapeau, elle tient son épée, cette épée qui, pour elle, n'a jamais tué, l'épée vierge d'une Vierge, l'épée qui fait reculer et qui défend. Cette épée (ici tout semble encore plein de symboles délicats et mystérieux), elle l'a prise derrière un autel où elle était ensevelie (8) ; cinq croix la marquent de leur empreinte -une rouille significative la couvre... Ne croirait-on pas, dans les gestes de vos héros d'hier, retrouver cette épée de la vieille France chrétienne revenue au jour ? -Un triple fourreau lui a été fait : un, pompeux, de velours, vient des prêtres de France, l'hommage, un peu vain, du clergé pour la mission reconnue ; -un, de drap d'or, c'est le présent des citoyens reconnaissants, riches et peu faits pour la tâche ; -un, de cuir solide, que Jeanne fait faire de sa propre autorité, et qui sert. On peut réfléchir sur cet emblème, lui aussi, il est plein de sens. C'est, de plus, d'une façon qui peut dérouter, car l'enfant de la campagne semble encore moins faite pour ce rôle que pour celui de capitaine d'armée, la Sainte du devoir civique. Ses Voix, chose étrange, l'appellent autant à une tâche d'ordre intérieur et en quelque sorte constitutionnel qu'à la délivrance du pays. Elle vient remettre, elle, la fidèle jeune fille, l'ordre dans l'État. Devant le prodigieux effort de cet enfant qui brave tout et qui donne sa vie pour cela, au point de consacrer à ce souci, sur le bûcher même, au milieu du supplice, une de ses dernières paroles, -devant cette obéissance aux plus saintes, mais aux plus inattendues de toutes les exigences des Voix, quelle figure font nos pitoyables manœuvres de participants à la vie publique ! Quelle misère que celle de nos voix, à nous, de ces piètres voix dont nous pourrions cependant, en les honorant mieux, tirer tant de bien ! Tantôt, nous ne nous dérangeons pas pour les donner à ceux qui mériteraient de conduire les destinées de notre pays, tantôt, chose plus attristante encore, nous les négocions trop souvent pour servir des intérêts personnels ou plus ou moins relevés... Le problème est aussi brûlant et aussi sacré aujourd'hui qu'hier. L'enfant de Domremy, sanctifiée, est un affront vivant aux abstentionnistes, aux indifférents, aux embusqués de toutes sortes, aux bénéficiaires de clientèles, aux vains ambitieux, à tous ceux qui, par défaut ou par appropriation indue, désertent ou dénaturent le devoir d'état du citoyen. C'est la Sainte du rôle héroïque de la femme, patronne et rectificatrice d'un certain féminisme devenu, de nos jours, chose forcée, inévitable, amenée par l'évolution des idées et des sociétés comme par l'immense hécatombe virile de la guerre. Au lieu des grimaçantes figures des suffragettes (9), nous avons là un modèle exquis et rassurant, à la fois plus hardi et plus modeste, de ce que peut, aux heures d'exception, faire une femme, et c'est chose bienvenue dans l'économie providentielle du moment. «J'ai appris à coudre et à filer», mieux, elle l'avoue, que quiconque.
Voilà le saint travail professionnel du foyer. «C'est de ma mère que je tiens ma croyance.» Voilà le sacerdoce domestique, l'initiation nécessaire et si douce, sous le toit paternel, aux vérités de salut. Mais, si elle reconnaît et honore ou pratique tout cela, elle ne recule devant aucune tâche prescrite par la Providence de Dieu, jusqu'à celles qui semblent les moins faites pour elle ; et dans ces exceptions opportunes, elle enseigne aussi à être prête à remplir tous les devoirs plutôt qu'à exiger tous les droits. Elle nous signifie ainsi le rôle militant de la vierge, le rôle précis et décisif de toutes les puretés dans le monde. Les purs veulent ce qui est pur. Ce qui est pur est sûr. Et ce qui est sûr doit être fait. C'est d'ailleurs dans cette pureté même que se trouve le meilleur remède ou la meilleure sauvegarde contre la pusillanimité. D'une parole singulièrement profonde, sans en avoir l'air, elle indiquait ces relations mystérieuses entre la droiture, la simplicité et le courage. Comme on lui demandait si, dans la bataille, elle ne redoutait pas les coups de lance, elle répondit, d'un mot bref et tranquille, « qu'elle n'y craignait que les traîtres, » Elle nous fait voir, avec une saisissante évidence, ce qu'est l'emploi du temps, pour les missions publiques surtout. Ces missions sont d'habitude, et Notre-Seigneur en est l'exemple, aussi courtes que précises. « Je ne durerai qu'un an, il me faut l'employer. En nom Dieu ! Vous tardez trop à m'envoyer ; il faut besogner quand Dieu veut. Travaillez et Dieu travaillera. » Suivant le mot de l'Évangile, « on est venu pour cette heure» (10), on n'est venu que pour cette heure, il n'est souvent qu'une heure, et qui souvent est, du point de vue humain, la pire des heures. Il y a là une exigence redoutable et urgente, qui n'admet ni délais, ni flâneries interposées. L'homme de bien sent qu'il n'est jamais une fin en soi !, un chef-d’œuvre au repos, mais un instrument, un exécuteur limité de tâches qui le dépassent. Et comme, par un contraste saisissant, tandis que Jeanne signalait sans cesse avec angoisse le prix de l'heure et le peu du temps qu'elle sentait à elle dévolu, Charles VII s'attardait aux plaisirs de son existence personnelle, oubliant son métier de roi, ses responsabilités, le vrai sens de sa vie, au point de mériter, tandis qu'il traînait dans les « dancings » de l'époque, le mot de La Hire (11) : «On ne peut perdre plus gaiement un royaume.» C'est la Sainte de la vigilance. «Méchant garçon, dit -elle à son page, qui ne l' avait assez tôt avertie du combat commencé, vous ne me disiez pas que le sang de France fût répandu.» Elle s'arme elle-même et court. On la voit rester six jours complètement armée de jour et de nuit, toute meurtrie, la chair dans le fer, pour être toujours prête à l' alerte. Blessée, elle met quinze jours à guérir, sans cesser de monter à cheval et d'agir. Elle est la Sainte de l'initiative, et de l'initiative sans ambition, sans retour sur soi-même. Elle a les Voix d'en haut pour le faire -il est vrai. N'avons-nous pas les nôtres, moins extraordinaires, mais pour nous, saintement utiles elles aussi ? Chacun de nous n'a-t-il pas des voix de conscience, des résolutions, des inspirations, venues de Celui qui sait habiter le cœur de l'homme ? Toutes ces voix, d'un autre ordre, mais d'une même origine, et aussi respectables dans leur humble ressort que celles de Jeanne, toutes ces voix, qui d'ailleurs supposent toujours entendues les autres Voix miraculeuses, sans cela muettes, toutes ces voix, nous devons mettre, à suivre leurs indications, la généreuse puissance d'initiative de la petite bergère, dont nous entendons, depuis, pour nous encourager, la parole fatidique pleine d'un joyeux mystère: «Ne craignez pas le nombre», qu'il soit le nombre des obstacles ou celui des foules adverses.
Et, dans ces bonnes initiatives, gardons, comme elle, pour nous préserver de toute erreur et de toute vanité corruptrice, le souci permanent de la «seule chose nécessaire» (12). Docile aux Voix et aux tâches prescrites par les Voix, ne l'oublions pas, Jeanne tenait pourtant à ne leur demander pour elle-même, suivant son témoignage formel, que le salut de son âme. C'est la Sainte de la reconnaissance, celle qui ne néglige point de dire : merci, le mot de l'amour qui a compris et qui, dans la paix, rend grâce pour grâce. Voici son ex-voto, après la première et décisive victoire. Voici, aux pieds de saint Denys, premier martyr parisien, patron de la France, sa blanche armure, la défense pure et bénie de Dieu et, à côté, l'épée prise à l'ennemi ; ce qui a voulu faire oeuvre de mal, consacré à Dieu et remis à Dieu, en un repos sanctifié. -Voici l'heure du triomphe, Jeanne qui délaisse, à Reims, le Roi, ce Roi pour lequel elle est venue, et qui court s'agenouiller dans le coin d'une chapelle, en action de grâces. Elle sait ce qu'on doit à Dieu ; elle sait qu'on lui doit tout et, le sachant, elle sait ce qu'on doit à son Église. Elle a le sens de ce qu'est l'Église, elle l'a étonnamment profond. Et le sens de ce qu'est l'Église est son bon sens, lui-même illuminé par une vertu surnaturelle bien supérieure à toute réflexion érudite ou savante. Elle sait reconnaître, mieux que tout autre, en l'Église, la gardienne infaillible de la Vérité, le Corps mystique du Seigneur. « J'aime l'Église et je voudrais la soutenir de tout mon pouvoir pour notre foi chrétienne », répond-elle à l'un de ses juges. Elle en situe, avec une sûreté que la triste époque où elle vit rend encore plus surprenante et plus méritoire, la pièce essentielle, le centre vital, la pierre fondamentale indéfectible. «Pour moi, je tiens et je crois fermement que nous devons obéir à notre Saint Père le pape et je répondrai devant lui ce que je devrai répondre.» Au lendemain du Grand Schisme d'Occident, au moment du concile de Bâle (13), quand la moitié des théologiens déraisonnaient, et que la moitié saine, le «sel de la terre», s'affadissait, cette fille des champs montrait, du fond de sa prison, plus de doctrine que ses juges mitrés et diplômés, plus de lumières que la plupart de ses contemporains, plus de confiance dans la véritable hiérarchie, que ne semblaient en avoir eux-mêmes, à ce moment, les dignitaires de cette même hiérarchie. La plus française des Saintes et la moins gallicane de toutes, comme son épiscopal inquisiteur est à la fois le moins français et le plus gallican des prélats. On sait qu'il se paya même sur ce sujet le luxe d'une dissertation en forme, adressée à Jeanne prisonnière et conservée jusqu'à nous. Elle a, chose remarquable, la notion de cette universalité chrétienne et de ce centre divinement choisi, à côté du sens national le plus pur et le plus intense. Celle qui chasse l'étranger du pays, au nom du pays, au nom de Dieu, qui non seulement rend à César ce qui est à César -mais elle fait César celui que, selon Dieu, elle juge devoir être César -, c'est elle qui affirme le mieux le domaine universel de ce qui est à Dieu. Elle a, comme un apôtre des nations, le souci du bien universel de l'Église de Dieu. Vous souvient-il de l'étrange missive que cet enfant fait adresser par son aumônier, Pasquerel, à qui ? -aux lointains hussites (14) de Bohême.
Ceci me fait songer à certaines angoisses de l'heure présente, déjà, grâces à Dieu, presque surmontées ; et nous nous tournons vers Prague, avec la voix de Jeanne pour prier que Dieu maintienne par son intercession dans le droit chemin de saint Wenceslas et de saint Jean Népomucène, une Église tourmentée, que les conséquences de l'oppression étrangère et de graves erreurs politiques, naguère, avaient pu faire un instant chanceler (15). Jeanne a enfin le sens, trop perdu peut-être de nos jours, le sens surnaturel de la perpétuelle compénétration des deux Églises : la triomphante et la militante. Elle sait, d'une foi vive, que l'une est faite pour l'autre ; que, comme rang et fin, la deuxième se subordonne à la première, comme, par ailleurs, elle conditionne celle-ci. Elle a, presque avec déchirement, à travers les plus embarrassantes questions, trouvé la juste formule pour affirmer, sans excès ni défaut, cette vie commune, cette interdépendance qui les entrelace sans cesse pour aboutir finalement au triomphe permanent de la première. D'un rapide coup d’œil, nous avons tâché d'entrevoir ce que cette Sainte peut signifier pour nous tous ; mais cette Sainte signifie encore, ici même, pour vous quelque chose de plus particulier : la mission providentielle d'un pays. Vous avez l'honneur suprême d'une vocation nationale très visible, longtemps assumée en toute conscience. Cette tâche existe pour la France, impérieusement signifiée, pourrait-on dire. Les enseignements figurés que ramasse l'histoire des hommes dans l'Écriture ne sont pas, dans le monde, un fait isolé, uniquement surnaturel, et tout d'exception. Les leçons typiques de l'histoire humaine en reproduisent à un degré inférieur, mais analogue, la manière d'être. Il y a des peuples façonnés pendant des siècles pour une mission voulue par Dieu, préparés pour une fin donnée par les soins de la Providence, dans le jeu de la nature et de la grâce. Il y a là, encore, une volonté de Dieu manifestée, et s'il lui plaît, s'il vous plaît, obéie ; point indéfectiblement assurée sans doute, mais peut-être d'autant plus belle que la réponse à l'appel divin est plus livrée à un fiat d'assentiment et plus pleine de responsabilités. Toute votre nature, tout votre passé vous tracent un grand devoir, vous dirigent pour un apostolat en ce monde qui ne fut jamais complètement abandonné de vous, même aux pires heures de déviation et de passagère déchéance. L’humanité entière, l'Église chrétienne surtout, après le merveilleux effort de vos consciences actives et le sacrifice inouï que les héros d'un pays, ressuscité jadis par Jeanne d'Arc, ont fourni en ces dernières années, se tournent vers la Grande Sœur aînée de tous les chrétiens, et attendent. Elles attendent de l'héroïque nation, confirmée en son héritage de grâce et couronnée d'un prestige incomparable, un geste pour conduire les peuples, ses frères, vers les destinées que Dieu désire pour eux comme pour elle.
France de sainte Geneviève, de sainte Clotilde, France de Clovis, de Charlemagne et de saint Louis (à la requête de qui, ne l'oublions pas, d'après le témoignage formel de Jeanne d'Arc, en ses révélations, Dieu a eu pitié de la France) (16), France de Jeanne d'Arc, de saint Vincent de Paul et de saint François de Sales, France des « Saints inconnus » moissonnés dans les tranchées, patrie des foules communiantes et des foules sacrifiées, France de Lourdes, de Paray-le-Monial et de Montmartre, les victoires d'hier et les énergies d'aujourd'hui sont là pour permettre un essor dont vous êtes comptables au monde ! Soyez pleinement, fièrement, à la tête des nations chrétiennes qui cherchent leur chef de file On vous attend ; tous les regards sont tournés vers le pays où, depuis des lustres, un sourd et magnifique travail de renaissance s'est opéré, où vient d'être apposé le sceau effroyable de rédemptions qui ne se font pas sans effusion de sang (17). Reprenez d'un nouvel élan le cours de votre tradition merveilleuse. Vous êtes sur le seuil du grand sacre de demain. Vous êtes le « Gentil Dauphin » de nos espérances. Comme Jeanne, nous vous donnerons le titre de Souverain après le couronnement spirituel de votre multitude en ce Reims où elle a comme mission de vous reconduire. Cette France entière, en effet, qu'elle va ramener d'un sûr élan à la cathédrale mutilée (18), pour le sacre de foule, afin de lui faire prêter, en esprit, à cette foule héritière de ce qui jadis a fait la France et dépositaire de ce qui seul peut et doit la faire survivre, les quatre serments spirituels de ce sacre qui, quoi qu'il arrive, se perpétue. Rappelons-les : 1er serment : Garder à l'Église ce peuple chrétien. Cela ne commence-t-il pas à se faire ? 2ème serment : Le défendre contre toutes rapines et iniquités. N'est-ce pas ce que l'on demande, et ce qui s'impose sur le Rhin (19) comme à l'égard des puissances d'argent d'Outre-Mer ou d'Outre-Jourdain ? 3ème serment : Sur tout jugement, commander équité et miséricorde. N'est-ce pas le cri de cette soif de paix intérieure et de travail fécond en commun qui brûle tant de poitrines ? 4ème serment : Travailler de toutes ses forces à mettre hors de cette terre tout ce qui peut atteindre la pureté d'une foi qui fait comme corps avec elle. Ce sont les tables de votre vieille loi civile. Ne voudriez-vous pas, à la suite de Jeanne d'Arc, leur donner un nouveau regain de vie, en les jurant, par l'esprit, dans votre cathédrale blessée et meurtrie mais toujours debout ? Ne voudriez-vous pas en faire le programme très simple mais très ferme -le mot y est -, très assuré de votre action vitale, de ces quatre points millénaires et sacrés qui laissent si loin derrière eux les quatorze points célèbres d'un nouveau continent déjà naufragé : l'Atlantide de l'Utopie (20).
Les apparitions de Jeanne sont encore là pour guider en cette tâche autant que pour aider à l'accomplir. Voici saint Michel, le défenseur et le resplendissement de la gloire de Dieu, capitaine des « Soldats de Dieu », patron de la mission historique de la France, «Gesta Dei per Francos ». Voici sainte Catherine dont la présence au premier abord étonne, mais vient signifier, à qui médite, la voix d'enseignement, la vocation intellectuelle de la France (21). Voici sainte Marguerite, l'héroïne de la pureté. Au lieu de cette mission, ainsi signe pur de Soldat de Dieu, de maîtresse de bonne conscience, de patrie des pures gloires, c'est en vain que l'esprit du mal a voulu imposer au généreux pays une tâche savamment opposée ; s'il a voulu obtenir l'exil officiel de Dieu (22), tenter de faire, du Docteur des Nations, le propagateur d'erreurs spécieuses, le champion d'une sorte de christianisme sans Christ, et le prédicateur d'une morale débaptisée, s'il a essayé enfin de transformer le pays des lys, le pays élu de Notre-Dame et de la Vierge d'Orléans en un lieu de plaisirs suspects, il n'a pas prévalu. Dans la France restée la France reviennent ensemble Jeanne et ses Saints et ses Saintes, et les leçons de ses Saints et de ses Saintes. Ils triompheront chaque jour davantage, si vous les suivez avec assez de confiance et d'élan, d'une volonté toujours plus éclairée et mieux soutenue. Et, pour le résultat que vous pouvez attendre de l'effort et du secours d'en haut, écoutez encore la voix de Jeanne : «Comment Dieu pourrait-il laisser périr des sujets si loyaux envers le Seigneur ? » L'héroïsme n'est pas, chez vous, une vertu d'occasion ; l'occasion ne peut durer cinq ans, comme elle l'a fait naguère. C'est déjà pour vous une habitude, et plus qu'une habitude -un don. Mettez-le en oeuvre sur d'autres terrains que le champ de bataille, avec le même entrain, la même persévérance, le même succès. C'est le vœu de toute la chrétienté qui vous fête en fêtant votre Sainte. Aussi, laissez, en terminant, à la voix d'un de vos frères chrétiens, et d'un de ces frères très proches par la race et le sang (23), la joie de répéter pour vous cette vieille prière qui déjà, dans un missel du VIle siècle, appelait sur votre vocation nationale le secours du Ciel : «Dieu tout-puissant et éternel, qui avez établi l'empire des Francs pour être sur la terre l'instrument de votre volonté, le glaive et le rempart de votre Église, nous vous en prions, faites luire toujours et partout votre lumière sur les fils de ces Francs qui vous implorent, afin qu'ils sachent ce qu'ils doivent faire pour étendre votre règne en ce monde, et que, pour accomplir cette tâche, leur charité et leur vaillance aillent toujours en s'affermissant. Par Jésus-Christ Notre Seigneur… ..
NOTES : (7) Philippe III le Bon, duc de Bourgogne, principal allié des Anglais à l' époque de Jeanne d'Arc. (8) Cela advint, comme l’on sait, dans l’église de Sainte-Catherine-de-Fierbois, en Touraine. En cette église sont conservées des reliques de sainte Catherine (l’une des saintes voix de Jeanne), apportées par le maréchal de Boucicaut de son pèlerinage au Mont Sinaï au début du XIVe siècle. Jeanne, avertie par ses voix au début de sa mission militaire, fit exhumer et se fit apporter une épée enterrée derrière l’autel de cette église, épée que la tradition rapportait être celle de Charles Martel... (9) Les suffragettes sont les militantes qui, en Angleterre, réclamaient le droit de vote pour les femmes et défrayèrent la chronique au début du XXe siècle.
(10) Évangile selon S.Jean, 12/27.
(11) La Hire était le surnom d'un petit noble, Étienne de Vignolles, redoutable capitaine de routiers, qui accompagna Jeanne dans tous ses combats, et qui fut un des rares hommes de guerre à l'avoir soutenue d'emblée et sans réserves.
(12) Evang..selon S. Luc, 10/42
(13) Le Grand Schisme d'Occident (1378-1417), pendant lequel deux puis trois papes rivaux se disputèrent la chrétienté ; et le concile de Bâle, qui s'ouvrit quelques semaines après la mort de Jeanne Juillet 1431) et voulut mettre en pratique la thèse de la supériorité des conciles sur le pape ; il fut désavoué par le pape, se transforma en assemblée démagogique et outrancière, élisant un antipape et perdurant, après bien des péripéties, jusqu'en 1449.
(14) Partisans du réformateur tchèque Jean Hus, précurseur du protestantisme, brûlé comme hérétique en 1415 par le concile de Constance.,
(15) Allusion aux troubles religieux qui avaient marqué les premières années du nouvel et très artificiel État tchécoslovaque : dès 1918, les Tchèques au pouvoir se lancèrent dans un anticléricalisme très combatif soutenu par une fraction du clergé qui fonda une Eglise nationale schismatique (« Eglise tchécoslovaque hussite ») ; celle-ci, finalement, ne se développa guère et, dès la fin des années 1920, l'Église catholique s'était raffermie, malgré des effectifs fort disparates (Tchèques, Slovaques et Allemands qui la composaient avaient en effet des intérêts fort divergents).
(16) On trouve cette mention dans la Chronique dite de la Pucelle: « Gentil Dauphin » pourquoi ne me croyez- vous ? Je vous dis que Dieu a pitié de vous, de vous, de votre royaume et de votre peuple. Car saint Louis et Charlemagne sont à genoux devant lui, en faisant prière pour vous. » (éd. Quicherat, Procès de condamnation et de réhabilitation, t. IV; 208).
(17) Allusion à l'Épître aux Hébreux 9/22 : « Il n’y a pas de rémission sans effusion de sang. »
(18) Après les bombardements de la ville, dès les premières semaines de la Première Guerre mondiale.
(19) A l'époque où parle le prince Ghika, on était en pleine controverse à propos du traité de Versailles et des réparations imposées à l'Allemagne vaincue ; la France, reprochant à l'Allemagne de mal respecter les clauses du traité, avait, en représailles, occupé le bassin industriel de la Ruhr, sur le Rhin, en janvier 1923.
(20) Il s'agit des « quatorze points » du président Wilson, base du traité de Versailles, qui affirmaient le principe des nationalités... principe en fait bien malmené par le traité de Versailles et les autres traités consécutifs à la Première Guerre mondiale...
(21) Sainte Catherine d’Alexandrie est la patronne des philosophes…
(22) La séparation de l’Eglise et de l’Etat, en 1905, est encore toute proche lorsque le prince Ghika prononce cette conférence.
(23) Par sa mère, Alexandrine Moret de Blaremberg, le prince Ghika avait des origines françaises. |