LA STATUE DE JEANNE D'ARC A MEHUN
Il y a maintenant un siècle, le 16 février 1896, le docteur Mérault, Maire de Mehun, proposa au conseil municipal d'ériger une statue en l'honneur de Jeanne d'Arc, héroïne nationale qui fréquenta notre cité au temps du roi Charles VII. Voici le texte de l'allocution qu'il prononça pour appuyer sa proposition :
"Jeanne d'Arc est la plus belle figure de notre histoire. Elle est l'incarnation de l'amour de la Patrie, la personnification la plus merveilleuse du peuple qui se lève pour défendre ses foyers et chasser l'étranger. Quelles que soient les opinions, les idées politiques et religieuses, tous les français doivent l'aimer et l'admirer.
Un révolutionnaire qui était un grand caractère, un ardent patriote, Armand Barbès, disait : "J'aime passionnément l'héroïque fille qui sauva la France et je voudrais qu'on lui élevât une statue jusque dans nos plus petits hameaux" (fin de citation de Barbès).
En outre des motifs qui sont communs à toute la France, Mehun a des raisons spéciales locales pour glorifier Jeanne d'Arc.
Mehun a vu Jeanne d'Arc. Elle y a passé à diverses reprises, elle y a séjourné ; on trouve encore la trace d'une maison qu'elle aurait habitée d'après la tradition (dépendance de l'hôtel Charles VII).
C'est après son échec devant Paris, échec dû à la trahison du roi et de son entourage que, celui-ci revenant en Berry, elle fut, à son grand regret, obligée de le suivre (septembre 1429) et d'interrompre son œuvre d'expulsion des Anglais.
Elle passa dans le Berry six à sept mois (de septembre 1429 à Mars 1430) suivant le roi de ville en ville, de château en château, luttant toujours pour la France non plus contre l'Anglais, mais contre l'apathie, le mauvais vouloir, la jalousie et la trahison du roi et de ses conseillers.
C'est à cette époque qu'elle vint fréquemment à Mehun où le roi résidait le plus volontiers et où siégeait son conseil. Mehun était, en quelque sorte, le siège du gouvernement.
C'est à Mehun que lui furent octroyées des lettres de noblesse pour elle et pour sa famille. On lui prodiguait les honneurs pour cacher au peuple le mauvais vouloir qu'on avait contre elle.
Mehun est donc bien indiquée parmi toutes les villes du Berry pour élever un monument en l'honneur de la grande héroïne de la France. Ce monument se dresserait devant la ruine du château de Charles VII, là où Jeanne d'Arc a sûrement passé, sur un sol que ses pas ont foulé.
La plupart des villes qu'elle a visitées pendant le temps si court de sa vie guerrière (14 mois) ont tenu à l'honneur d'en perpétuer le souvenir par des monuments ou de fêtes.
Orléans, qu'elle a sauvé des Anglais, donne en son honneur chaque année depuis quatre siècles et demi des fêtes toujours suivies par une foule de peuple venu de tous les points de la France et auxquelles ont assisté sous tous les régimes les représentants du gouvernement, quelquefois même le Chef de l'Etat.
Le Berry ne doit pas moins qu'Orléans à l'héroïque fille. Orléans pris, il devenait la proie des Anglais. Sauvant Orléans elle a sauvé le Berry.
Je ne doute pas que les villes du Berry, dans un sentiment de pieuse reconnaissance, ne se joignent à nous pour élever à Jeanne d'Arc un monument digne d'elle.
Et si le Berry n'arrive pas à couvrir les frais de ce noble et patriotique projet, nous ferons appel à tous les Français et à toutes les Françaises, et notre appel sera entendu de tous ceux qui aiment la patrie et qui se sentent touchés jusqu'au fond du cœur de ses épreuves, de ses misères, de ses grandeurs, de ses gloires dans le passé comme dans le présent".
Nul doute qu'après un tel discours, en ces temps de patriotisme exacerbé, le Dr Mérault remporta un succès quasi unanime. Il devint donc président du comité institué afin d'organiser une souscription publique pour l'érection de la statue.
Le conseil, après en avoir délibéré, approuve la proposition du Maire à l'unanimité moins une voix, et décide qu'une souscription publique sera ouverte à Mehun puis dans les villes du Berry et dans toute la France, pour élever un monument à Jeanne d'Arc sur la place du château de Charles VII.
Le comité décida que la souscription s'adresserait à tous les berrichons et, si nécessaire, à tous les français selon les paroles de Mr Mérault.
Le 15 Août 1897, à l'unanimité moins 2 voix, le conseil municipal vote une souscription de 500 Frs en faveur de l'érection du monument ; la somme sera mandatée au nom du Dr Mérault président du comité chargé de la réalisation de ce projet. Madame la Duchesse d'Uzès, sculpteur, (qui fut présidente de l'Union des femmes peintres et sculpteurs de France) réalisera la statue en alliage métallique cuivreux. Elle sera mise en place sur un imposant piédestal en béton et moellons habillé de pierre de taille en granit, pierre de St Florent et de Vallenay. Son diamètre est de 5,2 m et sa hauteur de 4,05m. Le haut du monument est ceinturé d'une fresque sculptée représentant des rameaux de chêne feuillus. Sous la fresque, une banderole en lettres du XVème siècle rappelle qu'"il faut bouter l'étranger hors de France". Sur les faces latérales figurent les noms et dates des batailles livrées par Jeanne d'Arc dans la région. Cette œuvre est due à Mr Georges Darcy, architecte parisien.
Le 3 mai 1901, la statue est terminée, le comité offre d'en faire la remise à la municipalité, elle deviendra ainsi la propriété de la ville de Mehun. Le Maire invite le conseil à se prononcer sur cette offre, cette formalité est nécessaire pour obtenir du gouvernement l'autorisation d'ériger la statue place du château sur l'emplacement prévu par l'ancien Maire, Mr Mérault, décédé le 21 Juillet 1900 et remplacé par Mr Girault. L'offre est acceptée par 16 voix contre 4.
Le 28 Avril 1901, les formalités évoquées ci-dessus étant accomplies, on évoque l'organisation d'une fête pour l'inauguration de la statue.
Le 29 mai 1901 la date de la cérémonie est fixée au 30 juin. Le Maire demande au conseil de voter un crédit de 700 Frs, somme qu'il estime suffisante pour organiser une fête à caractère strictement civil à l'occasion de la mise en place de la statue. Un vif débat naît alors au sein du conseil. Un conseiller du parti ouvrier voit dans cette fête une manifestation réactionnaire et décide de ne pas voter ce crédit, il estime qu'elle nuirait à la fête du 14 juillet dont l'éclat est terni depuis quelque temps. Un autre ajoute qu'on devrait plutôt subventionner la fête du 1er mai qui est celle des ouvriers. Enfin un troisième prétend au contraire que cette fête est une manifestation anticléricale "puisque c'est le clergé qui a brûlé Jeanne d'Arc"!
Finalement le crédit est accordé par 13 voix contre 9, l'inauguration aura bien lieu le 30 juin 1901.
La cérémonie inaugurale, présidée par Mr de la Boulaye, ancien ambassadeur de France en Russie, qui a pris la tête du comité après le décès de Mr Mérault, réunit un grand nombre de personnalités dont le préfet du Cher. Mr de La Boulaye prononça un émouvant discours rendant hommage à la fois à l'héroïne nationale et à Mr Mérault instigateur du monument.
Jeanne d'Arc dominera paisiblement la place du château pendant 40 ans sans qu'on ne parle plus d'elle. Elle présidera, en quelque sorte, chaque années les fêtes de la Rosière et du 14 juillet, assistera en spectatrice débonnaire aux cérémonies religieuses, mariages et enterrements, seulement troublée par les cris des enfants aux heures de récréation des écoles voisines, son socle servant souvent de perchoir pour des jeux divers.
Mais tout a une fin ; à ce long défilé d'années calmes pour notre héroïne nationale succède la sombre période 1940-1944 pendant laquelle, pour son malheur, on s'intéresse de nouveau à elle :
Le 13 décembre 1941 le conseil municipal prend connaissance d'une lettre de la préfecture relative à l'application de la loi du 11 octobre 1941 qui prescrit "l'enlèvement, en vue de leur refonte, des statues et monuments en alliage cuivreux ne présentant pas un caractère artistique ou historique".
La commission désignée par le secrétariat d'Etat à l'éducation nationale pour appliquer cette loi, au cours de sa réunion du 8 novembre 1941, a émis l'avis d'enlever la statue de Jeanne d'Arc de Mehun "car elle ne présente aucune valeur artistique". De plus il est fait entrevoir "que la valeur de reprise de ce monument permettrait facilement de le remplacer très avantageusement par une statue de pierre édifiée sous le contrôle de l'administration des Beaux Arts".
Bien entendu le conseil municipal proteste vivement contre cette décision "qui va causer une émotion légitime dans la population, ce monument fixant une page de l'histoire locale".
Il dégage sa responsabilité en cas d'incidents qui pourraient se produire, et demande que soit réexaminée la possibilité de maintenir l'ouvrage en l'état actuel.
Ce funeste projet ne sera pas mis à exécution dans l'immédiat cependant, le 20 février 1942 le statuaire Delanche propose d'effectuer la reproduction de la statue en pierre, ou de recréer un modèle différent. La proposition est ajournée.
Mais en 1944, avec quand même un certain retard, l'ignoble loi d'octobre 1941 est appliquée, et la statue tombe sous le regard attristé de quelques badauds.
Les destructeurs seront punis de leur méfait car, paraît-il, l'alliage composant la statue n'avait aucune valeur métallurgique.
LA NOUVELLE STATUE
Dès la fin de la guerre, les Mehunois se préoccupent du remplacement de la statue ; le socle, aussi majestueux soit-il, ne peut rester orphelin de sa raison d'être.
Des initiatives privées se manifestent :
Le Père Pasdeloup natif de Mehun, il habita longtemps sur la chaussée de César, écrit une pièce de théâtre en l'honneur de la sainte intitulée "Jeanne d'Arc à Mehun". Cette œuvre en 6 actes destinée à être jouée en plein air, éditée par la "Croix d'Or" est achevée d'imprimer le 25 mars 1953 par l'imprimerie Tardy de Bourges. Elle sera interprétée cinq fois, en 1953 et 1954 sur la place du Château ; la recette correspondante sera entièrement consacrée à l'érection d'une nouvelle statue.
La somme recueillie ne fut-elle pas à hauteur des espérances ? Toujours est-il qu'aucune suite ne fut donnée à cette généreuse initiative.
Le 26 octobre 1959 une association : l'Union Berrichonne des habitants de Paris se propose de s'occuper du remplacement de la statue. La Mairie de Mehun est contactée et donne bien sûr son accord. Un comité est formé au sein de l'association en vue d'atteindre cet objectif, des statuts sont déposés officiellement dans le but de recueillir des fonds à cet effet. La date de l'inauguration de la nouvelle statue est même fixée au dimanche suivant le 8 mai 1961 (pour ne pas être l'ombre de la fête de Jeanne d'Arc d'Orléans) ; puis retardée d'un an pour des motifs obscurs.
Hélas ! après ces prémisses prometteurs, rien ne suivra. Là encore, les fonds recueillis, s'il y en a eu, ont-ils été très inférieurs aux sommes espérées ? (Le patriotisme n'est plus ce qu'il était vers 1900). Comme en 1953-1954 on ne reparlera plus jamais de cette opération.
Le 13 mai 1965, le Maire, Monsieur Manceau, écrit à André Malraux ministre des Affaires Culturelles. Il sollicite le ministre dans le but de doter la ville d'une nouvelle statue en remplacement de notre victime de l'envahisseur. Toujours pas de suite.
Le 13 juillet 1973, Madame Peaudecerf, présidente du Syndicat d'Initiative, et Monsieur Escoube, auteur de l'histoire de Mehun, demandent au conseil municipal le remplacement de la statue.
Il faudra toutefois encore attendre jusqu'au 24 Avril 1979 pour que le Maire, Monsieur Manceau, demande au conseil "de se pencher sur le remplacement de la statue de Jeanne d'Arc enlevée par les troupes d'occupation allemandes durant la dernière guerre dont le socle, intact, devrait pouvoir recevoir certains aménagements commémorant le passage de Jeanne d'Arc à Mehun-sur-Yèvre".
Le conseil, unanime, se déclare d'accord pour qu'un projet soit établi. Monsieur Lebouteux, architecte des Monuments Historiques, est contacté à cet effet.
Le 22 Janvier 1981, un projet réalisé par les ateliers Mainponté de Paris suivant les indications de Mr Lebouteux est présenté au conseil. La statue d'une hauteur de 2,3 mètres serait taillée dans de la pierre dure de Chauvigny pour la somme de 59 400 Frs, y compris une maquette de 0,8 m de hauteur qui serait soumise à l'accord du conseil (cette maquette se trouve actuellement au rez de chaussé de la Mairie).
Sur avis favorable de la commission des finances, le conseil adopte le projet et demande l'exécution rapide de la maquette afin de pouvoir inscrire la dépense au budget primitif de 1981.
Le 26 mai 1981 la maquette, terminée, est exposée en mairie, un registre est ouvert au public pour consigner les observations et suggestions éventuelles (il ne recueillera que 2 propositions). L'avis du conseil est sollicité ; il lui est demandé de formuler son opinion sur l'aspect général de cette maquette afin de passer commande ferme de la statue.
L'avis général est favorable au modèle avec, cependant, quelques remarques concernant la silhouette peu élancée du personnage, remarques d'ailleurs mentionnées sur le registre prévu à cet effet. Il serait souhaitable que, dans la mesure du possible, une amélioration lui soit apportée.
Mais il semble que cette suggestion resta lettre morte, car force est de constater que notre statue manque quelque peu d'élégance, surtout pour les anciens qui ont connu la magnifique réalisation de la duchesse d'Uzès !
Quoi qu'il en soit, le 15 mai 1982, la nouvelle statue prend place sur le monumental piédestal de sa malheureuse aînée. A 17 heures elle est dévoilée en présence de nombreuses personnalités départementales et locales.
Depuis ce jour Jeanne d'Arc règne à nouveau paisiblement sur la place du Château. Espérons qu'aucun conflit ne viendra plus jamais troubler sa quiétude.
Sources :
Archives municipales de Mehun.
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