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Eloge de Jeanne d'Arc |
Dans l’Eglise Cathédrale d’Orléans, le 8 Mai 1844, jour anniversaire de la délivrance de cette ville, par M. L’ABBE E. PIE, vicaire de la cathédrale de Chartres.
Eh quoi ! vous tremblez, vous pleurez, ennemis de la France ! Peuple de braves, vous avez brûlé une vierge de vingt ans ; n’êtes-vous pas fiers de cet exploit chevaleresque ? Oui, tremblez et pleurez, ennemis de la France. Vous avez vaincu : mais votre victoire, comme celle de Satan sur Jésus, est une défaite (1). Vous avez cru n'être que des bourreaux, et vous étiez des sacrificateurs. Parmi ces tempêtes et ces orages, il fallait du sang pour apaiser le ciel et purifier la terre. La France est rachetée, puisque Dieu a accepté d'elle une vierge pour hostie : Sanguine placastis ventas, el virgine cœsâ (2). Il est désormais permis d'espérer d'heureux retours de fortune. Il a raison, ce secrétaire du roi des Anglais qui s'écrie : « Nous sommes perdus, car nous avons fait mourir une sainte » ! Les cendres de Jeanne crient vengeance contre vous, pardon pour la France ; sa mort vous sera plus fatale que sa vie. Dans un même supplice, je vois trois triomphes : le triomphe de la France, le triomphe de la Foi, le triomphe de Jeanne. Triomphe de la France. On apportait les clefs des villes sur le cercueil de Duguesclin, et le nom de Condé gagnait des batailles. Jeanne n'aura point de sépulcre ; son noble cœur, la seule partie que le feu n'ait pu détruire, a été jeté dans les flots. Mais son ombre, mais sa terrible image poursuivra les Anglais jusqu'à ce qu'ils soient refoulés dans leur île. « Je » sais bien, disait-elle, que les Anglais me feront mourir, parce qu'ils croient pouvoir s'emparer de la France après ma mort ; mais seraient-ils cent mille de plus» (Jeanne appelait les Anglais d'un surnom joyeux et militaire : Jeanne était Française, et jusque dans les fers elle avait la gaîté française), seraient-ils cent mille de plus, ils n'auront pas le royaume » ..... « Avant qu'il soit sept ans, les Anglais abandonneront un plus grand gage qu'ils n'ont fait devant Orléans. » Six ans ne s'étaient pas écoulés, et Paris, « ce grand gage », se rendait presque sans coup férir à l'intrépide Dunois. Bientôt Charles-le-Victorieux régnait sur tout le pays de ses ancêtres ; et un siècle plus tard, la blanche bannière de France, flottant sur Calais, laissait lire dans ses plis l'accomplissement de la parole prophétique de Jeanne : « Les Anglais seront boutés hors France ». Une femme, une reine voluptueuse avait perdu le royaume ; une bergère héroïque, une vierge martyre l'a sauvé.
Triomphe de la Foi Messieurs, dans cette invasion de l'Angleterre, notre nationalité n'était pas seule en péril. Dieu qui rapporte tous ses conseils à la conservation de sa sainte Église, apercevait un autre danger. La France possède un trésor plus précieux encore que son indépendance, qui nous est si chère à tous pourtant, c'est sa foi catholique, son orthodoxie intacte et virginale ; c'est ce trésor qui allait périr. Circonstance mémorable, Messieurs !
Devant le tribunal du Juge suprême des nations, l'Angleterre, en prononçant la sentence de Jeanne d'Arc, a signé, cent ans à l'avance, sa propre condamnation. HÉRÉTIQUE, APOSTATE, SCHISMATIQUE, MALCRÉANT DE LA FOY DE JÉSU-CHRIST, tels sont les griefs inscrits, de par l'Angleterre, sur la tête de Jeanne. Ne déchirons pas cette inscription précieuse ; livrons-la à l'histoire ; elle pourra lui servir bientôt pour marquer au front une autre coupable, une grande coupable. Edouard n'a-t-il pas déjà parlé de faire des prêtres anglais qui chanteront la messe malgré le pape ? Et, à la licence qui règne, ne sentez-vous pas qu'Henri VIII approche ! C'est à ce point de vue, Messieurs, que la mission de Jeanne s'élargit et prend des proportions immenses. Que la France devînt anglaise, un siècle plus tard elle cessait d'être catholique ; ou bien, si elle résistait à ses dominateurs, elle se précipitait, comme l'Irlande, dans des luttes et des calamités sans fin. La cause de la France, au quinzième siècle, était la cause de Dieu, la cause de la vérité : et l'on a dit que la vérité a besoin de la France. Ne vous étonnez donc pas ; que les deux plus illustres représentants de la monarchie catholique, Saint Louis et Saint Charlemagne (j'aime pour le grand empereur cette canonisation par la bouche inspirée de Jeanne), se soient émus au sein de la gloire sur leur trône immortel, et qu'ils aient demandé un miracle pour la France. Ne vous étonnez pas si l'archange de la France est envoyé vers une vierge, et si cette vierge est choisie aux pieds des autels de Rémy, l'apôtre des Français, «qui a sacré et béni, dans la descendance de Clovis, les perpétuels défenseurs de l'Église et des pauvres ». (4)
Ne vous étonnez pas enfin si la mission de la libératrice de la France se termine par un grand et mémorable sacrifice. Au mal qui nous menaçait, il fallait un remède surnaturel ; quand la religion du divin Crucifié est en cause, les prodiges de valeur ne suffisent pas, il faut des prodiges de douleur. Ce sont encore nos ennemis qui l'ont proclamé, alors qu'ils se frappaient la poitrine en descendant de cet autre calvaire : « Elle est martyre pour son droict Seigneur ». Et si vous me demandez quel est son Seigneur, elle m'a appris à vous répondre que c'est Jésus-Christ.
Enfin, triomphe de Jeanne. Serai-je paradoxal si je dis que le supplice de Jeanne était nécessaire à sa gloire même temporelle? Outre qu'elle y a conquis « ce je ne sais quoi d'achevé que le malheur ajoute à la vertu » sans le procès de Jeanne d'Arc, sans la procédure de révision qui en a été la conséquence, si l'héroïne, après le couronnement de Reims était rentrée sous la chaumière de Domremy, qu'elle y eût achevé ses jours dans les soins obscurs de la vie champêtre, Jeanne d'Arc serait pour la postérité, serait pour nous un problème insoluble. Des ombres douteuses se mêleraient aux rayons de sa gloire ; sa mémoire tiendrait un milieu incertain entre la légende et l'histoire. Le roman y gagnerait de pouvoir hasarder mille suppositions aventureuses ; l'œuvre sainte et surnaturelle de Dieu disparaîtrait. Jeanne serait plus fêtée, plus célébrée peut-être des mondains et de ceux que l'Ecriture appelle « la faction des lascifs : factio lascivientium (5) » ; les chrétiens, affligés, trembleraient sur la fin d'une vie que tant de gloire eût exposée à tant de séductions. Messieurs, même au point de vue humain, il n'y avait d'autre issue pour Jeanne que le cloître ou le martyre. Je me trompe : on eût douté de la sincérité des dépositions sorties du cloître. Chose admirable et providentielle ! L'événement le plus extraordinaire, le plus surnaturel qui figure dans les annales humaines, est en même temps le plus authentique et le plus incontestable. Ce n'est pas seulement la certitude historique, c'est la certitude juridique qui garantit jusqu'aux moindres circonstances de cette vie merveilleuse. Oh ! qu'elle semblera grande aux âges les plus reculés, cette fille d'Adam en qui ses ennemis et ses juges n'ont pu découvrir une seule faiblesse ; dont la vie intime est aussi pure, aussi resplendissante que sa vie publique ; dont cent dix-huit témoins oculaires, parmi lesquels ses amis d'enfance, ses compagnons d'armes, ses serviteurs les plus familiers, ont révélé tout ce qu'ils savaient sans pouvoir révéler autre chose que des vertus! Scribes de l'Angleterre, enregistrez ces dépositions ; conservez à la France les nobles paroles de Jeanne, ses réponses inspirées, ses solennelles prédictions : c'est de vos mains ennemies qu'est élevé le plus beau monument à la gloire de l'envoyée des cieux. 0 Dieu! soyez béni! Les juges qui prononcent la sentence de Jeanne, ont écrit son absolution devant la postérité, comme les bourreaux qui la livrent aux flammes ont mis la palme céleste entre ses mains, et la couronne éternelle sur sa tête.
Et maintenant, Messieurs, je m'arrête ; et quand je jette un regard sur le chemin que nous avons parcouru, oh ! que j'aime à reposer mes yeux sur cette ville d'Orléans! Orléans, où Jeanne ne trouva point d'incrédules ni d'envieux, mais où elle fut reçue comme un ange libérateur ; Orléans, où elle conquit ses premiers et ses plus doux titres de gloire ; Orléans, qui a toujours gardé dans son cœur la précieuse mémoire de Jeanne, et qui, après quatre cents ans, célèbre encore ses triomphes avec tant d'amour et de reconnaissance! Français et Catholique, avec quel bonheur, Messieurs, je suis venu payer ce faible tribut à votre libératrice, en présence (je regrette de ne pouvoir nommer un Pontife si éminent, en qui j'eusse trouvé l'indulgence du génie) en présence de ce clergé vénérable, de ces illustres magistrats, de ces braves guerriers, de toute cette multitude enfin, dont la devise est toujours celle de Jeanne : RELIGION ET PATRIE. Orléans, ton nom sera grand jusqu'à la fin des âges entre toutes les cités ! O vous qui écrivez les fastes de la France et de l'Église, aux noms de Clovis et de Tolbiac, de Charles Martel et des plaines de Tours, joignez les noms de JEANNE et d'ORLÉANS, noms désormais inséparables ; car Orléans n'a pas été seulement le théâtre des exploits de Jeanne, il en a été l'auxiliaire ; Jeanne a sauvé son pays et sa foi, et c'est à Orléans ; elle tenait le glaive divin, et Orléans, Orléans tout entier combattait avec elle. Chrétiens qui m'avez entendu, femmes, vierges, enfants de la cité, vos pères ont partagé la gloire de Jeanne, et ils vous l'ont transmise. Mais Jeanne vous a laissé un autre héritage non moins précieux : c'est celui de sa foi, de sa piété, de ses douces et aimables vertus. La religion n'a pas de plus séduisant modèle à vous offrir que votre libératrice. Ah ! qu'Orléans soit toujours la digne cité de Jeanne! que Jeanne se retrouve, qu'elle vive, qu'elle respire toujours dans Orléans! Que sa gracieuse et sainte figure resplendisse dans vos mœurs, qu'elle brille dans vos œuvres. Marcher sur ses pas, c'est marcher dans le sentier de l'honneur ; oui ; mais c'est marcher aussi dans le sentier du ciel. Et les rigueurs dont Jeanne a été victime ici-bas proclament assez éloquemment qu’il n’y a rien de solide, rien de vrai, que ce qui conduit au ciel.
NOTES :
(1) Si cognovissent, nunquàm crucifixissent. ,4 Corinth., II, 8. (2) Virg., Aeneid. (3) Plures interfecit moriens, quàm anlè vivus occiderat. Judic., XVI (4) Bossuet, Polit. sacr., L. 7, art. 6. (5) Amos, VI, 7.
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