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Documentation
Une nouvelle sainte au calendrier des armées ? |
Monsieur LE GAL exprime des vérités rarement affichées dans l’Eglise. En outre il présente Jeanne d’Arc sous un éclairage inusité, sachant montrer l’homogénéité de la sainte et de l’héroïne et allant jusqu’à expliquer clairement la « spiritualité de la victoire ».
L’Évêque aux Armées déplore qu’aucune catégorie de militaires n’ait jamais su choisir Jeanne d’Arc comme Sainte Patronne. Nous partageons aussi ces regrets.
Mais un Pape (S.S. Pie XI) l’a quand même proclamée Patronne Seconde de la France !
J. de La Ville Baugé.
A -Jehanne pénètre dans la salle du château B -Jehanne devant le siège royal C -Jehanne devant le Dauphin D -Jehanne et le Dauphin passent dans l'appartement royal E -Jehanne et le Dauphin reviennent dans la grande salle
Plaidoyer pour une fête oubliée
Les Armées et leurs différentes spécialités d'Armes sont attachées à la figure de leurs saints patrons, à la fois modèles et intercesseurs. Les fêtes patronales sont, en tous les cas, occasions de journées festives. Ces saints patrons, « officialisés » pour la plupart assez récemment, ont souvent été choisis en référence aux corporations ou aux métiers auxquels se rattachent les différentes armes. Quelquefois aussi en fonction des actions éclatantes ou des vertus militaires qui leur sont attribuées.
Tous les saints patrons des Armées -loin s'en faut- n'ont pas été choisis parmi des militaires, et plusieurs saints notables, qui se sont illustrés dans des opérations militaires, n'ont cependant pas été retenus. C'est le cas de Jeanne d'Arc dont la figure est à la fois celle d'une sainte et celle d'une héroïne nationale, qui participa deux années durant aux campagnes de l'armée du roi Charles VII, laissant le témoignage exemplaire de son courage au combat.
Longtemps « oubliée » par les autorités ecclésiastiques et politiques qui l'avaient laissée condamner injustement au terme d'un procès faussé, Jeanne fut cependant réhabilitée et honorée d'une double fête au début du 20ème siècle, dans l'élan de la ferveur patriotique consécutive à la 1ère guerre mondiale. Jeanne oubliée mais retrouvée
Le 10 juillet 1920, en effet, la République décida, avec cinq siècles de retard sur l'événement, d'instituer une fête nationale pour commémorer la libération (de l'occupation anglaise) d'Orléans, le 8 mai 1429, sous l'impulsion décisive de Jeanne. La fête fut donc fixée au 8 mai. Tout juste quelques mois plus tôt, le 16 mai 1920, le pape Benoît XV avait procédé à la canonisation de Jeanne et avait établi sa fête, au calendrier de l'Église de France, au 30 mai, date anniversaire de la mort de Jeanne à Rouen.
Voilà donc que -tardivement- les mérites de Jeanne étaient officiellement et hautement reconnus et proclamés, et même doublement fêtés. Pour le 500ème anniversaire de sa libération, eurent lieu à Orléans des célébrations très solennelles qui réunirent pour la prise d'Arme et pour la messe pontificale qui suivit, les plus hautes autorités de l'État, président de la République en tête accompagné de membres du gouvernement dont le ministre de la Guerre. Lendemain de victoire de 1918 oblige, on invita pour la circonstance une délégation anglaise, qui fut conduite par l'ambassadeur à Paris, entouré d'un Cardinal et d'évêques anglais.
La figure de Jeanne, sa participation valeureuse et victorieuse à la campagne de la Loire en 1429 en faisait une sainte patronne toute désignée dans ce contexte pour les militaires, mais ce furent plutôt des écoles « Jeanne d'Arc » qui fleurirent et bien sûr aussi des paroisses qui adoptèrent ce saint patronage.
En 1945, le hasard des événements voulut que la victoire tombât un 8 mai, Heureuse victoire, mais malheureuse coïncidence qui éclipsa la fête de la libération d'Orléans et de Jeanne.
Quelques décennies plus tard, à l'occasion de la réforme liturgique post-conciliaire, l'Église déplaça la fête de la Visitation de la Vierge, fixée jusque là au 2 juillet et l'établit désormais au 31 mai. Cela ne manqua pas non plus de porter quelque ombre à la célébration de la mémoire de Jeanne (le 30 mai) encore que Jeanne ait toujours manifesté une grande piété mariale et que cette proximité l'ait sûrement touchée !
Ainsi donc, à peine sortie d'une sorte de relégation, où la mauvaise conscience de ceux qui l'avaient jadis condamnée la maintenaient depuis longtemps, Jeanne se trouvait à nouveau quelque peu marginalisée, ce qui peut sans doute expliquer qu'elle n'ait pas été choisie pour figurer au calendrier des fêtes patronales militaires. Pourtant, n'aurait-elle pas, de façon éminente, rempli ce rôle de sainte patronne des combattants d'aujourd'hui ?
Jeanne intrigue, voire incommode, en raison des phénomènes mystiques qui marquèrent sa vie : ses voix. Cela ne doit pas masquer les qualités de sa foi et de sa piété, centrées sur l'essentiel : le Christ et l'Évangile, et, remarquablement équilibrée: Jeanne accueillit et mit en oeuvre de façon étonnante la charte de la vie chrétienne et ses exigences telles que le Christ les présente dans le Sermon sur la Montagne. Les Béatitudes, qui ouvrent ce sermon sur la Montagne, forment comme sa règle de vie et il n'en est aucune qu'elle n'illustre de façon magnifique dans sa brève existence. En ce sens, la vie de Jeanne reste un exemple parlant, orientant et encourageant de façon judicieuse sur le chemin de la sainteté tout chrétien qui la découvre. Le fait que, à travers les chroniques de l'époque et plus encore les nombreux témoignages du procès de réhabilitation, nous puissions connaître, presque au jour le jour, la vie de Jeanne, ses réactions, ses combats, donne d'autant plus de relief et de force au témoignage qu’elle nous lègue.
A partir de 1429, Jeanne s'engage dans une mission politico-militaire -elle partage la vie des soldats- ; elle en a connu les risques, les enjeux, les exigences aussi. En opération, elle propose un style de comportement qu'on lui voit suivre, cohérent avec la foi chrétienne. Certes, les conditions de la vie militaire aujourd'hui sont bien éloignées de ce qu'a pu connaître Jeanne, mais le cœur de l'homme demeure et les vertus militaires aussi. A cet égard, Jeanne reste sûrement pour le monde militaire un exemple particulièrement éloquent. Soulignons ici quelques traits remarquables de cette exemplarité.
Justice et miséricorde
Ce qui meut Jeanne à agir et explique son courage dans les épreuves, c'est sa soif de justice. Si elle a accepté de quitter sa Lorraine natale et d'entreprendre cette étonnante opération politico militaire, c'est d'abord, comme elle le dit explicitement, « pour faire se clore le règne des nantis et des oppresseurs ». Il ne s'agit pas du goût du combat et de l'aventure, d'en découdre avec les Anglais ou les Bourguignons, mais, plus profondément, de cette soif de justice dont parlent les Béatitudes. Le mobile, on le voit est plus subtile que simplement bouter les Anglais hors de France, car les « nantis » sont aussi dans le Camp du Dauphin. Jeanne se situe d'emblée dans la droite ligne du Dieu de l'Exode, qui a vu la misère de son peuple en Égypte, qui a entendu le cri du malheureux, et qui va intervenir avec puissance pour les libérer : « J'ai été envoyé, dira-t-elle encore, pour la consolation des pauvres et des indigents ».
Cette soif de justice n'est pas seulement chez elle motif général et quelque peu abstrait d’action, elle se traduit concrètement et au quotidien, et on connaît en particulier son refus véhément de la pratique des pillages auxquels croyaient pouvoir se livrer des soldats plus ou moins bien soldés. Une anecdote rapportée par son écuyer Simon Beaucroix le manifeste : « Dans l'armée, elle n'aurait jamais voulu que ceux de ses compagnies pillent quelque chose. Jamais elle ne voulait manger des vivres quand elle savait qu'ils avaient été pillés. Une fois, un écossait lui a donné à entendre qu'elle avait mangé un veau qui avait été pillé ; elle fut très en colère et voulu pour cela frapper l'écossais».
Il y aurait beaucoup à commenter sur ce respect de la justice par Jeanne dans la vie en campagne : que deviendrait la légitimité d'une opération militaire si elle se faisait au détriment de ceux-là même qu'on prétend libérer de l'oppression.
Jeanne dans les combats ne se laisse pas prendre par un esprit vindicatif et violent. Au-delà même de son attention aux exigences de la justice, elle pratique la miséricorde : pardon et compassion y compris à l'égard des ennemis. Son page, Louis de Coutes, rapporte un témoignage significatif à cet égard : « Une fois, tandis qu'un français emmenait quelques Anglais prisonniers, celui qui les conduisait frappa l'un des Anglais à la tête, tant qu’il le laissa pour mort. Jeanne, voyant cela descendit de cheval, elle fit se confesser l'anglais, lui soutenant la tête et le consolant de tout son pouvoir ». On sait aussi comment le chef militaire anglais à Orléans Glasdale, que Jeanne appelait Classidas, avait offensé gravement Jeanne en l'injuriant. Cependant, quand Jeanne le vit acculé et prêt à tomber dans la Loire où il allait se noyer, Jeanne le supplia de se rendre: « rends-toi au Roi des Cieux... J'ai grande pitié de ton âme et de celle des tiens.
De fait, Jeanne, instruite jour après jour dans la prière par Dieu lui-même, explicite des règles de comportement au combat qui préfigurent (et dépassent déjà !) bien des données du jus in bello des temps modernes et des codes de comportement du soldat contemporain. Ce n'est pas au terme d'une réflexion juridique qu'elle y parvient mais par la pratique des vertus chrétiennes fortifiées par les dons du Saint Esprit.
Les chemins de la victoire
Ce qui a peut-être le plus frappé chez Jeanne, ce n'est pas tant cette pratique affirmée des vertus militaires et chrétiennes à l'école des Béatitudes que l'autorité et l'élan avec lesquels elle a conduit « ses » hommes à la victoire. Et pourtant Dieu sait le désarroi qui régnait parmi ces combattants à Orléans avant l'arrivée de Jeanne et le défaitisme qui perçait jusque dans l'entourage du Dauphin. Les militaires aiment souvent à exalter le courage, voire l'héroïsme de ceux qui ont combattu dans des situations exposées et perdues, mourant jusqu'au dernier pour assurer la mission et, du moins, sauver l'honneur. Jeanne, elle, propose une spiritualité de la victoire. Ce n'est pas à dédaigner (1). Jeanne ne produisit pas la victoire d'abord par l'apport de renforts ou d'un armement puissant, mais par une détermination appuyée sur l'Espérance et la confiance en Dieu.
Connaissant leurs forces limitées, les soldats du Roi craignaient les Anglais. Assurée de la fidélité de Dieu, Jeanne se sait d'autant plus forte et quand on lui objecte la présence armée des ennemis supérieurs en nombre, elle réplique : « les Anglais y sont peut-être, mais Dieu y est sûrement». Elle ne méprise pas la nécessité de l'engagement des soldats et de leur savoir-faire, mais elle sait que la victoire dépasse nos seules forces : elle est don de Dieu ; c'est ce qui lui donne cette sérénité face au combat : «les soldats combattront et Dieu donnera la victoire» et c'est ce qui s'est passé.
Cette aptitude étonnante de Jeanne à relever le « moral de la troupe », à ramener l'espérance, s'enracine évidemment dans sa foi nourrie de sa prière fréquente, dans sa sainteté de vie. L'espérance dont Jeanne put témoigner ne prît vraiment racine en chacun que dans la mesure où une vraie conversion personnelle intervint : ce n'est pas l'autorité de Jeanne qui rétablit l'espérance. Elle n ' en est que le témoin ; c'est Dieu lui-même, quand on s'ouvre à lui…
Corrélativement, celui qui est loin de Dieu perdra l'Espérance et est déjà vaincu. Jeanne disait : «ce sont les péchés qui font perdre les batailles. Dieu nous veut en état de grâce». La honte de nos fautes, la distance qui en résulte par rapport à Dieu dissout cette confiance en lui et ruine l'espérance.
Pour relever l'espérance de l'armée du Dauphin, Jeanne l'invite à la conversion. Elle dénonce les jurons et les blasphèmes, exhorte à respecter le dimanche, invite les soldats à la chasteté et renvoie chez elles les femmes qui suivaient la troupe. Ce n'est pas étroit moralisme, c'est chemin de libération intérieure en vue d'ouvrir les portes à la victoire militaire. Ce dont témoignent largement les compagnons de Jeanne, dans leurs dépositions au procès de réhabilitation, ce n'est pas le poids des interdits ou des obligations que Jeanne faisait peser sur eux, mais plutôt le fait que la qualité de présence et d'être de Jeanne les rendait capable d'une maîtrise nouvelle d'eux-mêmes, d'un chemin de conversion personnelle, qui leur permettait de se consacrer pleinement à leur mission de combattants (2), libérés qu'ils étaient désormais de toute entrave.
Jeanne au total nous laisse un exemple lumineux d'une vie fidèle aux Béatitudes malgré l'environnement bouleversé et plein de contradiction de la vie de combattant en temps de guerre. C'est déjà rare et appréciable ; elle y ajoute un témoignage unique, peut-être, sur le secret d'une victoire militaire prétendument impossible, à travers la reconstruction de la confiance et de l'espérance par le chemin de la conversion personnelle. Dans le métier des Armes, plus peut-être qu'ailleurs, l'excellence professionnelle ne se sépare pas de la sainteté personnelle. «La victoire» est à ce prix.
Si vous avez laissé passer la fête du 8 mai, ne manquez pas celle du 30 : session de rattrapage pour «bénéficier» de l'intercession de Jeanne et faire fructifier son exemple.
Patrick LE GAL Evêque aux Armées Françaises NOTES : (1) Napoléon 1er lui-même relève ce trait à sa manière. Il écrivait ainsi en 1803: «Jeanne d’Arc a prouvé qu'il n'est point de miracle que le génie français ne puisse opérer lorsque l’indépendance nationale est menacée ».
(2) Sur le chapitre de la chasteté, de nombreux témoignages, notamment ceux de B. de Poulengy et de J. de Metz, qui l'escortèrent jusqu'à Chinon, manifestent que la sainteté de Jeanne, sa manière d'être, rendaient chastes ceux qui la côtoyaient -la vertu appelle la vertu-.
N.B. : Cet article est l’éditorial d’ « Eglise dans le monde militaire », mensuel du Diocèse aux Armées, de Juin 2005. Il apparaît aussi sur le site Internet du Diocèse.
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