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« FRERE JEAN PASQUEREL » AUMONIER DE COMBAT |
Dans ses rapports intimes avec le Ciel, Jeanne d’Arc n’avait nul besoin d'intermédiaire. Elle communiquait en permanence, sans autres moyens que ceux de la prière et de la grâce qu’elle recevait en retour. Souvent la réponse céleste lui parvenait en clair, sur le ton familier d’un entretien direct. C’était bien là le privilège de son âme angélique.
Mais au-dessous de cette âme, Jeanne avait aussi un corps humain qui en était le support terrestre. Or, pour cette commune nature terrestre des humains, l' Eglise avait institué l’appui des sacrements afin de soutenir les élans de l’âme vers un au-delà dans lequel elle trouve sa finalité .
Jeanne qui en comprenait le sens et l’intérêt, ne pouvait négliger ces aides spirituelles. Aussi, lui connaît-on une prédilection d'une part pour la confession fréquente, considérée chez elle comme une toilette de l’âme vivant au contact permanent des pollutions de la vie terrestre. D’autre part, la communion instituée par le Christ Lui-Même, à titre d’aliment réconfortant de l’âme dans son ascension surnaturelle. Enfin, la Messe qui était pour elle un instant de communication coutumière.
Ces certitudes expliquent non seulement les pratiques personnelles de Jeanne, mais aussi celles qu’elle imposait avec une autorité impérative à toute son armée. Et l'on sait avec quel empressement elle était obéie, même par les pêcheurs les plus endurcis de son entourage guerrier. On en connaît de beaux modèles !...
Il va de soi que pour l’exercice de ses propres dévotions, la présence auprès d’elle d’un religieux particulièrement choisi apparaissait à Jeanne comme une nécessité... et même une nécessité permanente en raison des périls que ses combats lui faisaient encourir. Il lui fallait donc un jeune prêtre de haute piété, bien décidé à la soutenir de tout son pouvoir dans l'accomplissement de sa périlleuse mission et à en accepter pour lui-même tous les risques. Ce religieux quelque peu providentiel, qui se fit ainsi auprès d’elle un nom prestigieux dans l' Eglise et dans l’Histoire, fut l' Ermite de Saint-Augustin Frère Jean Pasquerel .
Mais ce n’était pas tout, car en dehors des besoins spirituels personnels de la Pucelle, il y avait aussi, nous l’avons dit, ceux de son armée. Et là, le problème prenait d’autres proportions. C’est pourquoi en plus des obligations de son propre sacerdoce auprès de Jeanne, Jean Pasquerel reçut une nouvelle mission. Celle de créer, d’animer, de diriger un « commando » de religieux chargé de maintenir la foi par une pratique sacramentelle rigoureuse chez les combattants qui auront l’honneur de partager auprès d'elle la gloire et les risques du champ de bataille. Jean Pasquerel le fit avec toute l’autorité et l’efficacité requises . Un grand mérite lui en revient .
Ces quelques approches des deux hautes personnalités allant cheminer ensemble sur la route d’un prodigieux destin qu’une grâce spéciale leur a réservé, nous amène à nous questionner à présent sur les circonstances de leur rencontre où l'on soupçonnerait volontiers une certaine influence surnaturelle. Sur ce sujet l’Histoire nous apporte d’ailleurs d’utiles précisions. Les raisons du départ de Jeanne de Domremy, de la périlleuse randonnée qui l'amena à Chinon et des justifications incitant Charles VII à lui confier le commandement des pauvres restes d’une Armée Française perpétuellement vaincue jusque là n’entrent pas dans notre sujet. Mais elles n’en constituent pas moins la toile de fond .
Ce qui nous intéresse ici c'est d'abord la rencontre de Jeanne avec son aumônier. La trame historique de cet événement semble remonter haut, vers le 10 ou 12 Janvier 1429, quand Isabelle Romée apprit des enquêteurs discrètement envoyés à Domremy par Baudricourt le gouverneur de Vaucouleurs, que Jeanne demandait une escorte. Là, la mère comprit le dessein de sa fille .
Puis, vers la fin Janvier, au moment du voyage qu’elle fit à Nancy auprès du duc Charles II de Lorraine Jeanne écrivit à ses parents une lettre dont la perte, comme le déplore le Cardinal Touchet, est irréparable. On n'en a que des traces Elle ne leur disait pas son départ car ils en étaient informés. Mais elle leur en expliquait la justification. Ce fut pour Jacques d'Arc et Isabelle Romée une révélation dont ils faillirent perdre la raison.
C'est à partir de là que dans la pensée d’Isabelle Romée prit corps l'intention puis la décision de se rendre au pèlerinage du Puy prévu pour le 25 Mars, un Vendredi Saint et jour de l'Ascension. Il semble bien que dans la réalisation de ce projet Jean de Metz et Bertrand de Poulengy, les accompagnateurs de Jeanne à la récente randonnée de Nancy aient joué un rôle d'active participation .
Puis ce fut le samedi 12 Février la vision par Jeanne de la bataille de Rouvray et sa révélation à Baudricourt. Enfin, autant que l'on puisse en rétablir les dates toujours controversées, le mardi 22 l'arrivée à Vaucouleurs de Colet de Vienne, confirmant à Baudricourt la nouvelle de la bataille de Rouvray. Le départ vers Chinon fut immédiatement décidé pour le lendemain mercredi 23. C'est au Puy que, grâce à Jean de Metz et Bertrand de Poulengy connaissant déjà Jean Pasquerel, s'établirent les rapports entre le religieux et Isabelle Romée. C'est là aussi que la mère de Jeanne apprit par eux l'arrivée de sa fille à Chinon et son accueil par Charles VII. C'est là, enfin, qu'elle confia Jeanne au frère Ermite bien décidé sur les instances de Jean de Metz et Bertrand de Poulengy à lui apporter sans réserve son concours spirituel et sacramentel.
Puis, pendant qu'Isabelle Romée regagnait Domremy, l'Ermite et les deux guerriers, avec les deux frères de Jeanne Jean et Pierre d'Arc qui étaient venus pour accompagner leur mère, remontèrent à Chinon le mardi 5 Avril pour aller la rejoindre .
C'est à Chinon que le 6 Avril Jeanne accueillit Jean Pasquerel avec empressement. Elle lui révéla qu'elle avait déjà entendu parler de lui, ajoutant que dès le lendemain elle se confesserait à lui, avant de regagner Tours pour y faire confectionner son armure. C’est donc ce 7 Avril que Jean Pasquerel inaugura par une première messe son nouvel office de chapelain et aumônier. Jeanne sachant les dangers qu'elle allait courir lui demanda de ne jamais la quitter et de se tenir toujours auprès d'elle afin de la confesser. Il le lui promit.
De cette première rencontre, en dehors des obligations de son service religieux personnel, Jeanne pensa d'emblée à la seconde mission à laquelle nous avons déjà fait allusion, celle du "prêtre-aumônier" au sein de l' armée .
Consciente des nécessités de cette fonction et de l'importance qu'ont les signes visibles dans la vie spirituelle, Jeanne demanda à Jean Pasquerel de faire exécuter à Blois une bannière religieuse au service de ses pratiques cultuelles. Ainsi fut fait comme emblème du « commando » de religieux chargés de donner les sacrements dans l'armée de la Pucelle. Cette bannière fort différente de l'étendard de guerre de Jeanne, rappelait par sa forme rectangulaire l'ancien "labarum" des légions romaines jusqu'à Constantin. Il était décoré d'une Crucifixion. En marge de sa mission religieuse, Jean Pasquerel, clerc lettré, reçut aussi la charge d’écrire à la place de Jeanne, les lettres qu'elle lui dicterait. Cette coopération dura sur toute l'épopée de Jeanne. Nous avons grâce à cela hérité d'une merveilleuse quantité de textes de la plus haute venue car si Jeanne d'Arc ne savait pas écrire...elle savait dicter !...Et c'est son bon aumônier qui tenait la plume. Ainsi, dans les cinq campagnes, d'Orléans à Compiègne, Jean Pasquerel accomplit avec une admirable fidélité cette autre mission d'assistance qu'il s'était engagé à assumer auprès de la Pucelle.
Au plus fort des assauts devant les dangers, les périls qu’elle affrontait, son aumônier se tenait toujours au plus près afin d'intervenir pour lui assurer les secours surtout spirituels et le réconfort de son assistance. A Orléans, après les premiers combats de Saint-Loup le mercredi 4 Mai, ceux du surlendemain avec la charge à la lance de Saint-Jean-le-Blanc et la prise des Augustins, Jeanne décidait d'attaquer le samedi 7 la principale forteresse ennemie des Tourelles qui bloquait le pont d'accès à la ville. Elle avait pressenti, annoncé et même décrit la dangereuse blessure qu'elle recevrait en gravissant la première l'échelle d'assaut.
« Levez–vous demain de grand matin - dit-elle à son confesseur » - et vous ferez plus qu’aujourd’hui. Tenez-vous auprès de moi ; car j’aurai beaucoup à faire, et plus que je n’ai jamais eu. Demain le sang coulera de mon corps au-dessus du sein ».
Donc, le samedi 7 Mai de grand matin, Jean Pasquerel dit la messe. Puis, dès six heures, sous une grêle de projectiles ennemis, Jeanne engage l'attaque des fossés du boulevard. La lutte limitée aux approches dure toute la matinée. Vers midi, remontant le moral de ses troupes durement éprouvées, elle franchit le fossé et, pour grimper la première à la muraille crénelée, dresse une échelle d'assaut. Mais dès quelques échelons gravis, un trait d'arbalète l'atteint entre l'épaule et le cou, traversant la poitrine de part en part comme elle l'avait annoncé .
Retirée du fossé, on dégage son armure. Elle arrache elle-même la flèche. Seul soin qu'elle accepte pour épancher le sang, on applique sur la plaie une compresse de lard arrosée d’huile d'olive. Jean Pasquerel est là auprès d’elle. Cette présence l'aide et la rassure. Après une prière réconfortante, elle reprend jusqu'au soir le combat qui donnera la victoire en ouvrant le pont bloquant la cité. Orléans est sauvé .
Le lendemain matin dès l'aube Jeanne d’Arc à cheval à la tête de son armée est prête à charger. L’ennemie abandonne le siège pour se retirer sur les places du coude de la Loire, qu'il tient encore, Jargeau, Meung, Beaugency... où Jeanne ira bientôt les retrouver! ...Jean Pasquerel et son "commando" de prêtres revêtus de leurs ornements sacerdotaux, dressent en hâte un autel de fortune pour dire aussitôt, devant le front des troupes victorieuses, deux messes d’action de grâce .
Cette levée en cinq jours du siège d'Orléans qui durait depuis sept mois fait ressortir avec éclat les causes de ce miracle. Il faut y voir bien sûr, au premier plan, le génie guerrier surnaturel de la pucelle. Tout vient de là. Mais il faut y voir surtout ce renversement par Jeanne des valeurs morales chez ses guerriers demeurés jusque là perpétuellement vaincus. Ils passaient d'un seul coup à un état d’esprit triomphateur intervenant comme facteur majeur de toute victoire. Et à l'inverse, un état dépressif intense s’installe chez l'ennemi jusqu’à en modifier le comportement au combat. Ce phénomène fut si important qu'il frappa les contemporains. Dunois en fut l'observateur le plus averti. Dans son magnifique témoignage du procès de réhabilitation de Jeanne, il précise : « Les Anglais, auparavant, à deux cents mettaient en fuite huit cent ou mille combattants de l’armée royale. A partir de ce moment (grâce au commandement de Jeanne) quatre cents ou cinq cents soldats et hommes d’ armes (Français) combattaient dans la guerre comme si c'eut été contre toute la puissance des Anglais, et ils forçaient parfois les Anglais de façon telle que ceux-ci n’osaient plus sortir de leurs refuges et bastilles... Dès l'instant qu’elle fut là (ajoute-t’il comme exemple de l'assaut d 'Orléans ) les Anglais frémirent et furent terrifiés ; et les soldats du roi reprirent courage et commencèrent à monter, donnant l'assaut contre le boulevard, sans rencontrer la moindre résistance.»
S'il n’est pas dans notre propos de retracer l' histoire des campagnes de Jeanne d'Arc, nous pouvons retrouver dans ces récits les passages où le haut relief de la personnalité de Jean Pasquerel apparaît comme à Orléans, l'une des composantes majeures de l'épopée johannique. C’est tout au long de la campagne de la Loire, du siège de Jargeau, de la prise de Meung et Beaugency, jusqu’à la foudroyante bataille de Patay où Jeanne écrasa sous une seule charge furieuse les deux armées ennemies réunies de Talbot et Fastolf. Là, Jean Pasquerel exerça avec une constante fidélité son ministère sacré auprès de la sainte pucelle et au sein de sa vaillante armée dont l' ardeur atteignit les plus hauts sommets de l'efficacité .
Sur le sacre de Charles VII et l'active participation de l’aumônier Jean Pasquerel, nous possédons par les faveurs d'un talent incomparable, un témoignage bien plus parlant qu’un long récit. Il s’ agit d’une image d’une étonnante fidélité où l'intimité religieuse et guerrière de la Pucelle avec Jean Pasquerel et ses plus proches compagnons de combat apparaît dans toute sa noblesse et sa vérité. Cette image est celle que nous offre le peintre Jean-Auguste Dominique Ingres " Jeanne d’Arc au sacre du roi Charles VII dans la cathédrale de Reims". La scène est rendue avec une telle précision que l'artiste semble avoir assisté au sacre...pour nous y faire nous -mêmes participer .
Jeanne d'Arc s’y révèle dans sa splendeur mystique et guerrière, les yeux au ciel, son étendard au poing. Elle porte ses armes familières : l'épée de Ste Catherine-de-Fierbois et la hache de combat que lui virent et décrivirent à deux reprises les frères de Laval. A la perfection de l'Art s’ajoute, à part la chevelure, le respect de l’histoire. Derrière la pucelle élevée dans son attitude martiale et inspirée voici Jean Pasquerel à genoux sur la marche de l'autel, les yeux plongés dans son bréviaire ouvert à l'office du sacre. Ses traits austères et recueillis sont marqués par le halo des champs de bataille….
Les autres personnages sont bien ceux de l'équipe permanente de Jeanne. Après le frère, Jean d’Aulon l'admirable intendant, debout les mains croisées sur la garde de son épée qui tant de fois combattit au coté de la pucelle. Son visage buriné est bien celui qu'il fut au plus fort des charges et des assauts. A genoux lui aussi dans une attitude de parfaite piété juvénile, le page Louis de Coutes le brillant porte-étendard. Derrière lui on voit à peine le haut du visage du second page Raymond qui devait être tué lors du siège de Paris.
Ainsi, dans son ensemble et son détail cette précieuse image rend compte avec la plus grande précision de l’accomplissement de la mission céleste à laquelle Jean Pasquerel prit, auprès de l’angélique pucelle, une si grande part. Merci Jean-Dominique Ingres d’avoir fixé cette prestigieuse vision.
Avec la levée du siège d'Orléans et le sacre de Charles VII à Reims, ses deux oeuvres capitales, Jeanne d’Arc avait accompli la prodigieuse mission terrestre ordonnée par ses Voix célestes. L’envahisseur anglais avait attaqué la souveraineté française. Il était vaincu à Orléans, Jargeau Meung, Beaugency et surtout Patay où ses deux seules armées de manœuvre avaient été écrasées. Il ne lui restait plus en France qu’un émiettement de petites garnisons disséminées, incapables de constituer un ensemble cohérent pour maintenir une occupation efficace. Même à Paris son point d'appui principal. Par sa fulgurante intervention militaire Jeanne d’Arc avait fait basculer le sens de l'Histoire européenne du XVème siècle.
Or, si sa mission céleste était accomplie, Jeanne d'Arc ne considérait pas son rôle comme terminé. Elle avait bien compris que l’intégralité du territoire devait être libérée de toute présence d’une puissance ennemie dont on pourrait craindre plus tard le retour offensif. Servie par la merveilleuse clairvoyance surnaturelle qui l'avait guidée jusqu'à la victoire elle s'assignait ainsi une nouvelle mission qui ne serait que la continuation et l'achèvement de la précédente. C'est donc dans cette voie nouvelle que son cher "aumônier-confesseur" Jean Pasquerel s'engagea auprès d’elle, avec cette même certitude de servir le ciel au côté d'une sainte dont il sondait chaque jour la conscience. Gloire à lui d'avoir si bien jugé et agi. Certes, dans ce nouvel épisode guerrier, les occasions allaient être continuelles d’apporter à Jeanne d’Arc son dévouement, l'aide morale de sa présence, le réconfort permanent de ses sacrements. Jean Pasquerel vécut ainsi auprès d’elle dans tous ses combats dont il devait témoigner plus tard pour l ' Histoire. Ce fut dans les campagnes de la Marne, de la Seine, de l'Oise, avec les batailles de Montépillois, de Chelles, de Lagny, de Compiègne où nous aurions tant à écrire. Ses nouveaux exploits renversaient au combat le sens de la guerre de Cent Ans pour bousculer le sort de l'Europe vouée jusqu'à elle à une domination anglo-bourguignonne .
Il serait vain d’aborder dans cette simple esquisse l'ensemble des récits qui meubleront un jour une histoire exhaustive de la vie de Jean Pasquerel, l’Ermite de Saint-Augustin, qui partagea jusque sur les champs de bataille l'héroïsme et la sainteté de Jeanne d'Arc .
N'y aurait-il pas dans des preuves aussi authentiques et édifiantes, des raisons justifiées pour obtenir une future et, espérons, bien proche béatification du Frère Ermite privilégié du Ciel?…. Nous en livrons la pensée !
René OLIVIER
NOTA : Publié dans le n° 669 octobre 2004 « Ecrits de Paris ».
P.S. : Il va de soi que cet article, simple ouverture sur la personnalité autrement riche de l'aumônier Jean Pasquerel, appelle le complément d'une étude précise de la condition de ce religieux d’une certaine originalité conventuelle!... Mais ce serait là l’œuvre d'une autorité religieusement fondée ayant accès à des sources autres que celles du simple historien. Une telle initiative serait hautement souhaitable et bienvenue. Limitons-nous ici à en susciter...la tentation . |