L’aspect le plus difficilement explicable de la personnalité de Jeanne d’Arc reste son appartenance simultanée et constante au domaine matériel, dans lequel nous nous sentons à l’aise et au domaine surnaturel, qui nous échappe mais auquel elle avait directement accès : « Mes frères du paradis » disait-elle.
Pour tenter d’en améliorer la compréhension, nous juxtaposerons deux textes, déjà anciens, qui n’ont en commun que d’avoir été, chacun, conçu par un professionnel et de traiter, tous deux, de l’insertion de la spiritualité dans l’activité de chaque jour.
Le compte rendu (1) de la réunion du 19 octobre 1953 :
- la première, officielle et constituante, de l’Association Universelle
- comprend les notes prises sur l’allocution du R.P. Danielou, S.J., qui analysait Jeanne d’Arc et la définissait clairement :
« Elle a su réaliser un merveilleux équilibre : fidélité à sa vocation divine dans le service des valeurs temporelles, dans le service de la Patrie terrestre…
Ce qu’elle fait, elle le fait en tant que mission donnée par le Roy du Ciel… parce que le Roy du Ciel le lui demande et qu’elle veut lui obéir. »
Pour aborder le concret, en même temps que faire comprendre la mission de la pucelle, le Révérend Père hausse la situation à son niveau véritable :
« Nous avons à nous demander si ce que Jeanne d’Arc a pensé en son temps est toujours valable pour nous…
Il y a un certain ordre des choses humaines qui représente en effet la volonté, le dessein, l’ordre voulu par Dieu et Dieu n’est pas indifférent à l’organisation de la Cité humaine, à savoir que cet ordre ne peut pas être violé ou soumis à la libre volonté des hommes…
Il y avait quelque chose de violé dans le royaume de France dans la mesure où cette patrie française était occupée par des étrangers. L’aspect de l’ordre de Dieu ne se trouvait pas respecté. Au nom de la loi divine qui a divisé le monde en nations et patries, Jeanne s’est levée pour rétablir cet ordre. »
Puis il développe l’organisation du monde dans le dessein divin :
« La conception qui voudrait détruire la diversité des patries humaines dans l’unification et le nivellement des valeurs ne représente pas le dessein de Dieu…
Il importe de découvrir ce visage de l’humanité tel que Dieu l’a voulu afin de la maintenir.
Le vrai visage de la société humaine, c’est la charité par laquelle certaines nations se sentent complémentaires les unes des autres.
Tel est l’aspect selon laquelle Jeanne a compris sa mission. C’est par là que sa mission a une essence divine. Jeanne d’Arc a donné sa vie pour affirmer le respect de Dieu dans l’ordre humain. »
Deux questions pratiques et le rappel de deux principes nous aideront à définir notre comportement.
« La question est de savoir dans quelle mesure l’organisation de la société où nous sommes, l’organisation des rapports temporels entre les hommes, les exigences de la vie économique, politique ou internationale intéressent le Roi du Ciel…
L’exemple de Jeanne peut nous apparaître comme la clé de ce problème duquel dépend l’attitude que les chrétiens auront en présence du monde nouveau. Ce problème est de savoir dans quelle mesure la question de l’organisation de la Cité est une chose qui intéresse les chrétiens…
Le but de l’Église n’est pas d’établir dans le monde une société heureuse mais de nous conduire à la vie éternelle…
C’est au nom du Roi du Ciel que Jeanne agit… »
Viennent ensuite les enseignements bâtis sur l’exemple qu’apporte la vie de Jeanne d’Arc.
« De même que Jeanne d’Arc se mêlant des choses du royaume de France, pensait que Dieu le lui demandait, le devoir du chrétien dans l’ordre temporel est d’agir au nom de Dieu pour faire régner les lois qui sont celles que Dieu veut voir régner entre les hommes…
Jeanne nous apparaît comme étant la Sainte du Temporel…
Le fait que quelqu’un ait vécu au milieu de la politique, de la bagarre économique, que quelqu’un ait vécu au milieu de tout cela et que quelqu’un y ait vécu saintement, le fait de Jeanne d’Arc prouve que cela est possible…
Une sainte a fait la guerre pour être un modèle pour les gens qui ont à être des saints en faisant des affaires, en remplissant des fonctions importantes dans l’État, cité laïque… »
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Le deuxième de nos spécialistes de la spiritualité, antérieur de trois quarts de siècle au Révérend Père Daniélou, s’exprime (2) dans un contexte totalement différent.
Monseigneur de Ségur est l’un des évêques qui, avec le Pape Pie IX combat énergiquement le libéralisme, un courant déviationniste qui croit pouvoir composer avec la Vérité en cédant, sous prétexte de facilité de rapports et de fausse paix avec la laïcité, sur les principes vitaux du catholicisme.
Ce « libéralisme » n’a rien à voir avec l’orientation politique et laïque actuelle, qui utilise le même mot.
Réveillant l’esprit combatif de ses ouailles, Mgr de Ségur démonte la tactique adverse et fournit la bonne réponse.
« Et cependant (direz-vous) n’est-il pas souverainement imprudent de mêler ainsi à tout propos la religion à la politique ? Les prêtres vraiment sages ne s’occupent pas de politique ».
Les prêtres vraiment sages, comme les catholiques vraiment catholiques, « mêlent » la religion a tout, non afin de tout brouiller mais afin de faire régner Dieu partout et toujours…
Le libéralisme moderne « accepté par quelques catholiques », prétend que la religion ne doit point sortir de la sacristie ni franchir les limites de la piété privée.
Le Pape déclare que les catholiques ne peuvent défendre efficacement leurs droits et leur libertés qu’en se mêlant activement à toutes les affaires publiques, afin de faire prédominer partout les principes et l’influence salutaires de l’Église, dans le domaine de la vie publique comme dans celui de la vie privée ; le citoyen et le chrétien ne doivent faire qu’un…
Est-ce qu’en politique on ne peut pas s’en tenir à la célèbre formule passée en proverbe : « l’Église libre dans l’État libre ? »
Pas du tout. C’est encore là une de ces brillantes duperies dont le libéralisme est à la fois si prodigue et si friand… »
Mgr de Ségur analyse l’ « État libre » qui n’est que le pouvoir laïc débarrassé des contraintes imposées par l’Église jusqu'à l’intervention des « lumières » du XVIIIème siècle : « Mais c’est tout simplement la société sans Dieu, l’autorité sans Dieu, c’est l’omnipotence païenne de l’État… »
Dans ces conditions, que représente l’ « Église libre » ?
A tous les échelons, du Pape au chrétien, chacun proclamera à sa guise professions de foi et règle de vie pourvu qu’il s’en tienne, dans l’application, à sa seule tribu, pourvu qu’il ne coûte rien aux autres, pourvu qu’il ne dérange pas ; l’État, bien sûr, étant seul juge du tracé des limites.
« Ce n’est pas tout. « l’Église libre dans l’État libre », qu’est-ce à dire ?
Est-ce que par hasard l’Église est dans l’État ?
L’Église est universelle ; elle embrasse l’univers entier, tous les peuples tous les États, aussi bien que les siècles…
L’Église ne peut pas plus être dans l’État que le tout dans la partie. Dès lors, que signifie la célèbre, la libérale formule ? ».
Sainte colère, dont je ne vous offre que des extraits. Elle n’empêche nullement l’Évêque de connaître la solution et de la proposer :
« L’État ne sera jamais libre, libre de la vraie liberté, que lorsqu’il prendra pour première règle de respecter les volontés de Dieu, telles que les lui enseigne et les lui présente la sainte Église. En avançant le contraire, les catholique-libéraux ne savent ce qu’ils disent… »
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Des raisonnements analogues mènent à des conclusions identiques.
Nous trouvons sous la plume de Mgr de Ségur des paragraphes que nous prêterions volontiers au Révérend Père Daniélou :
« Dieu ayant dans son amour institué l’ordre surnaturel, c’est à dire l’ordre chrétien et catholique, ni les individus ni les sociétés ne peuvent sans manquer à leur premier devoir, se refuser à y entrer, ni se contenter de demeurer dans l’ordre purement naturel…
Aucun catholique ne pense à nier en théorie le droit souverain de Jésus-Christ et de son Église sur les sociétés… »
En bon pédagogue, Monseigneur de Ségur n’omet pas les conseils à ses disciples :
« En pratique, que faut-il donc faire ? C’est fort simple : il faut être catholiques de la tête aux pieds, catholiques dans nos sympathies, catholiques dans nos paroles, catholiques en tout et partout, dans nos actes publics comme dans notre conduite privée… »
Ce que Jeanne d’Arc résumait en : « Dieu premier servi »
J. de La Ville Baugé.
(1) Ce compte rendu fera office de bulletin N° 1 dans la série des bulletins des Amis de Jeanne d’Arc.
(2) Mgr de Ségur : hommage aux jeunes catholiques – libéraux.
Reproduit dans les documents Contrerévolutionnaires N° 19 de Novembre 2001.
Courrier : I. Kraljic – CP 49604 – 5122 côte des Neiges-Montréal. QC-H3T-2A5 Canada
E.mail : documents@contrerévolution.org.
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