“Le Vème centenaire de Sainte Jeanne d’Arc”, de Lucien Renault

Le Vème centenaire de Sainte Jeanne d’Arc

I – 1430

L’enfer est déchaîné Jeanne, courage ! Il faut,

Pour accomplir ton oeuvre et pour sauver la France.

A tes exploits d’hier ajouter la souffrance :

Ton chemin triomphale te mène à l’échafaud.

Hélas ! pauvre Pucelle ! où sont tendre pastoure,

Les voix qui t’apportaient le message du ciel ?

Regarde : ce n’est plus l’archange Saint-Michel,

Mais Satan qui conduit la garde qui t’entoure.

En vain tu rassemblas. ainsi que ton troupeau,

Les soldats dispersés par la sombre défaite,

Tu changeras les tocsins en carillons de tête,

Et tu fis refleurir les lys sur le drapeau.

En vain tu fis frémir les rives de la Loire,

Et chaque bourg, sous ton oriflamme abrité,

Entra dans la légende et l’immortalité.

Eu vain tu nous rendis l’espérance et la gloire.

Car rien ne compte plus aux yeux des mécréants ;

L’héroïsme n’a nul recours contre la haine;

Un félon va trahir la vierge de Lorraine,

Rempart du roi, libératrice d’Orléans !…

Qu’importe ? Charles VII a repris la couronne ;

Le royaume respire, et bientôt les anglais

Refoulés, trembleront dans les murs de Calais.

Dernier abri que notre victoire environne.

O Jeanne ! maintenant c’est l’heure amère où Dieu

Semble t’abandonner à toute ta faiblesse :

Plus que la flèche, au cœur, l’ingratitude blesse.

Voici le noir cachot ! Ah ! vraiment, le beau lieu.

Hélas ! Sur cette paille humide, un soir couchée.

Quels douloureux sanglots ont secoué ton cœur !

Adieu, combats menés par l’étendard vainqueur ;

Tu ne connaîtras plus l’ardente chevauchée.

Eh quoi ? se pourrait-il que la haine eût raison ?

Une litanie aurait vaincu ta grande épée,

Et ce qui devait être une immense épopée

Finir tristement au seuil d’une prison !…

Non, non ! Dieu seul est Maître et sa puissance tire

Des triomphes divins de nos effondrements.

Jeanne est tienne, dis-tu. Cauchon ? Traître. tu mens ;

Captive, elle nous sauve tous par ton martyre.

Aussi. lorsque le jour, à travers les barreaux.

Venait la visiter de sa douce caresse,

Dans son âme montait l’incomparable ivresse

Dont est comblé le sacrifice des héros !

Elle voyait plus haut que les Langues de flamme.

Plus loin que l’horizon sanglant du Vieux-marché,

Au delà du supplice, au delà du bûcher,

Le monde transporté qui la chante et l’acclame.

Elle voyait éclore à Chacun de ses pas

Les fleurs de la justice et de la foi nouvelle;

Elle savait qu’un jour la douce pastourelle,

Ramènerait la France au Christ qu’elle ne ment pas !

II – 1930

Cinq siècles ont coulé, les vénérables pierres

Se cachent dans la mousse ou dorment dans l’oubli;

Le passé glorieux est-il donc aboli,

Ou dort-il seulement sous d’antiques paupières ?

Tout à coup, je perçois une sourde rumeur

Qui s’enfle, qui grandit ainsi qu’une tempête ;

C’est une multitude en marche qui répète

D’un chant multiplié l’unanime clameur.

Jeanne, vers qui battait le cœur de la patrie.

Quand la gloire germait sous tes pas triomphants.

Tu savais bien qu’un jour ses fidèles enfants

T’apporteraient les vœux de la France meurtrie

Tu savais que le grain jeté dans les sillons

Doit pourrir avant d’être une vivante gerbe,

Et que ton souvenir d’héroïsme superbe

Susciterait chez nous des héros par millions.

Les bourreaux de ton cœur ont dispersé la cendre ;

Mais, traîtres, à leur tout ils ont été trahis ;

Car. la Seine baignait le cœur de ton pays.

Sur les flots ton amour a pu vers lui descendre.

Aussi de tous les points du royaume des Lys,

Pareille à la moisson par la brise animée,

Écoute s’avancer la gigantesque armée

Que ton noble étendard caresse de ses plis.

Voici les chevaliers témoins de ta victoire,

Qui se mêlent aux rangs des sublimes poilus ;

Nos Sauveurs, nos martyrs innombrables élus,

Pour être les jalons vivants de notre histoire.

Oui, Jeanne, chaque fois qu’on vit l’envahisseur

Piétiner notre sol et violer nos frontières ;

Manger nos fruits, ravir des provinces entières.

Notre âme de soldat de la tienne était sœur.

Les furieux combats et tous les grands faits d’armes

Ont été préparés par les preux d’autrefois ;

Nous avons recueilli les ordres de ta voix ;

Notre triomphe était la rançon de tes larmes.

Guerrière, c’est par toi que nous avons chassé

Les ennemis jaloux de notre paix prospère ;

C’est vers toi que l’on crie et en toi qu’on espère,

Quand le ciel s’obscurcit des ombres du passé.

Aussi, quand nous suivons l’inoubliable route

Que traça ta vaillance et que baigna ton sang.

Partout nous retrouvons cet amour frémissant

Qui te fit tenir tête à la pâle déroute.

Nous sentons que, toujours prompte à nous secourir,

Tu resteras pour nous l’invincible pucelle ;

Sans toi qui nous conduis-le courage chancelle ;

En toi la France vit et ne peut plus mourir

III – BEAULIEU

Beaulieu, n’entends-tu pas comme l’eau des fontaines

Bruire autour de tes murs le chant un renouveau ?

Ah ! pour te rajeunir aujourd’hui, rien ne vaut

Le zèle qui germa sur tes plages fontaines !

Jadis les compagnons de Cartier de Champlain

Partaient riches d’audace et de fière espérance

Et depuis trois cents mis, sur la Nouvelle France,

Le sang de nos aïeux a versé son trop-plein.

Un jour, le souvenir de la vierge guerrière

Mit une fleur nouvelle à l’antique blason;

Le Saint-Laurent vit naître une simple maison

Où le chant du combat se mêle à la prière.

Comme Jeanne venu des horizons lorrains,

Le Père et fondateur rêvait d’œuvres sublimes,

D’apôtres qui seraient avant tout des victimes.

Charbons ardents parmi les froids contemporains.

Il mit au front des Sœurs de la sainte Lorraine

Le casque du combat, puis leur dit “Dieu le veut !

Comme elle, vous aurez toutes un cœur de feu,

Un amour dévorant dans une paix sereine !”

La grâce fécondant le germe à son début,

Bientôt l’on dut ouvrir les portes du Cénacle ;

Moisson prodigieuse et visible miracle,

La famille d’hier était une tribu.

Les « Jeannes » de Québec s’en viennent conquérantes,

Ranimer sur le sol bien-aimé des aïeux

L’esprit de sacrifice et de zèle joyeux

Qui transforme en soldats les paisibles orantes.

Elles ont rapporté l’héritage divin

Des logues, des Brébeuf, des martyrs, des apôtres.

De leurs gloires, enfin, qui sont toujours les nôtres;

Nos ancêtres, là-bas, ne sont pas morts en vain

Voyez-Ies s’assembler ainsi que des abeilles,

A l’abri du manoir que la captivité

De l’héroïque enfant baigne de sa clarté.

Et qui verra demain éclore des merveilles…

Leur prière. éveillant les échos d’alentour,

Des siècles oublieux répare l’injustice,

La foi neuve a payé pour l’ancienne malice;

Vers Jeanne, saluons la France de retour !

Halte de nos espoirs, pèlerinage immense !

Le cachot s’illumine et devient immortel.

C’était une prison : ce sera notre autel,

Car c’est ici que la rédemption commence.

Salut et gloire à vous, généreux bienfaiteurs !

Vos noms, peut-être, sont inconnus; de la terre

Ils sont au ciel, inscrits au livre salutaire.

Car d’un temple nouveau vous voilà fondateur.

Salut, Beaulieu, salut ! Oui notre délivrance

Fut consommée à l’ombre auguste de ton toit

Les foules de demain s’ébranleront vers toi.

Sanctuaire de Jeanne et trésor de la France !

Lucien RENAULT

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