Sermon de l’Abbé Dom Gérard

Sermon de l’Abbé Dom Gérard lors de la messe pontificale du 9 mai 1999 à Marseille, en l’honneur de Sainte Jeanne d’Arc, à l’occasion du pélerinage du “nouvel élan marial”.

Dans son sermon prononcé à Marseille le 9 Mai dernier en l’honneur de Jeanne d’Arc, à l’occasion du pèlerinage du “Nouvel Elan Marial”, Dom Gérard, Abbé Bénédictin du Barroux, a rassemblé sur quelques-uns de ses plus beaux traits le double caractère juvénile et glorieux de l’épopée de la Pucelle. Il n’était pas possible d’en donner un condensé plus attrayant.

Avec l’aimable autorisation du Père Abbé, nous le reproduisons ici pour le plaisir et l’édification de nos amis. Qu’il en soit remercié.

Bien chers fidèles,

Célébrer sainte Jeanne d’Arc est toujours un honneur et une joie. Aujourd’hui, c’est une joie empreinte de gravité, dans une France plus malheureuse que celle du quinzième siècle, une France livrée au vice, à la drogue, à la délinquance, au suicide ; une France qui massacre ses enfants dans le sein de leur mère, inconsciente de la perte de sa souveraineté nationale, dont on se demande même avec angoisse si elle n’a pas perdu son âme.

Que la messe de ce matin, entourée des rites les plus sacrés de la liturgie, nous incline à revêtir notre âme de la grâce sanctifiante, expression de la plus haute sacralité.

*

* *

Le 6 Janvier 1412, jour de l’Épiphanie, à Domremy, petit village de Lorraine, une enfant vient de naître. Jeanne est son nom. Sur son berceau se penchent tous les saints de notre Pays pour voir cette petite étoile se lever dans le ciel de France. Un ciel plus orageux et plus noir que jamais. Le pays est ravagé par des bandes de pillards et envahi par une armée anglaise. Il y a grande pitié au Royaume des lys.

Mais la petite fille a grandi parmi les enfants du village, en filant la laine et en gardant les moutons, gaie, comme tous les enfants, jouant à la fontaine, aimant le travail et la prière, allant volontiers à l’église et donnant son pain aux pauvres.

Puis soudain il y eut un miracle qui marquera pour toujours l’histoire de notre pays. Écoutons Jeanne répondre à ses juges : “La première fois que la voix vint à moi, j’eus grand peur. C’était au temps de l’été, environ l’heure de midi, dans le jardin de mon père.”

Saint Michel, Sainte Catherine et Sainte Marguerite vont enseigner à l’enfant quelle sera sa mission : délivrer Orléans, faire sacrer le roi de Reims, bouter les Anglais hors de France. Voilà comment le Ciel intervient dans l’histoire des hommes.

Pendant trois ans, les saints du Paradis vont lui enseigner les secrets de la plus haute prière et les voies de la plus haute sainteté. C’est alors que commence l’extraordinaire chevauchée : Vaucouleurs, Chinon, Orléans.

Observons Jeanne au cours de son entrevue avec le Dauphin Charles au château de Chinon, nous y verrons la plus belle manifestation de l’alliance entre la nature et la grâce.

Il y a autour du Dauphin près de trois cents hommes d’armes. La jeune fille s’avance, calme et modeste, avec la plus extrême simplicité. Elle a 17 ans, la taille bien prise, les cheveux coupés rond comme les soldats. On fait cercle autour d’elle. Le Dauphin s’est dissimulé parmi les courtisans. Elle le reconnaît par prescience divine (n’oublions pas qu’elle est une de nos plus grandes mystiques, soumise directement à l’influence du Saint-Esprit), et l’on sait que le Dauphin doutait de sa propre légitimité. Elle va droit vers lui et lui fait la révérence de cour, puis lui déclare avec une autorité souveraine : “Gentil Dauphin, je suis venue pour porter secours au royaume. Je viens de par le Roy du Ciel pour que vous soyez sacré et couronné à Reims. Et vous serez lieutenant de Jésus-Christ, qui est vray Roy de France.»

Ces paroles venant de très haut éclairent d’une façon prodigieuse l’origine et la nature du pouvoir temporel. Comme gage de sa mission céleste, Jeanne annonce un signe éclatant : elle va délivrer Orléans assiégée, et pour cela demande qu’on lui donne des hommes d’armes. Les clercs la mettent à l’épreuve en lui posant alors une question subtile : “Si Dieu veut sauver le Royaume, il peut le faire sans hommes d’armes. Pourquoi en demandez-vous ? ” La réponse de Jeanne fuse immédiatement, elle traversera les siècles : “En nom Dieu, les hommes d’armes batailleront et Dieu donnera la victoire !”

Voilà en quelques mots quelle est la charte de nos combats terrestres, ceux qui requièrent audace et générosité, qualités propres à la jeunesse. D’ailleurs, le monde qui entoure Jeanne appartient tout entier à la jeunesse. Jeanne, elle-même, n’a que 17 ans, son page, Louis de Coutes, 15 ans ; Guy de Laval, qui sera fait comte à Reims, vient d’avoir 20 ans ; à 12 ans, il avait été fait chevalier sur le champs de bataille de la Gravelle ; le duc René a 20 ans, le duc d’Alençon, 23, Dunois, 26, et Charles VII lui-même n’a pas 27 ans. Cette troupe juvénile qui chevauche derrière Jeanne, la voilà partie pour faire lever le siège d’Orléans.

En ce samedi 7 mai 1429, Jeanne, qui est parvenue sous les remparts de la ville, se confesse et communie, puis elle s’arme et fait sonner les trompettes.

L’attaque est déclenchée, mais elle se brise sur une résistance acharnée. C’est alors que Jeanne, toujours la première, dresse une échelle contre les remparts et s’apprête à escalader la muraille. Une flèche lui traverse l’épaule ; elle se déferre elle-même et retourne au combat. Quand soudain son étendard touche le rempart – c’est le signal convenu – on entend une voix qui domine le tumulte : “Voyez l’étendard, tout est vôtre. Entrez ! Allez-y.”

Ah ! l’entrée dans Orléans !… au milieu d’une foule ivre de joie. Les cloches sonnent à la volée. On distribue des vivres aux habitants affamés : il y a grande liesse dans tout le peuple.

Dimanche 8 mai : c’est le jour de la fête de l’archange Michel. L’ennemi s’est enfuit, on fait des processions. On chante des Te Deum !

Désormais, la route du sacre est ouverte. Certains parlent de déposer les armes et de faire la paix. Mais Jeanne répond : “La paix, on l’aura au bout de la lance !” “Marchez toujours, gentil Sire ; si vous voulez agir virilement, vous serez bientôt maître de tout le royaume.”

Une marche ponctuée de batailles victorieuses conduit nos troupes jusqu’à la ville du sacre ; Reims ouvre ses portes à son jeune souverain, et le matin de la cérémonie, Jeanne, radieuse, tenait son étendard à la main : “Il a été à la peine, c’est bien juste qu’il soit à l’honneur!”

Et maintenant, dites-le-moi, chers amis, quel était le secret de Jeanne ?

D’où lui venait cette foudroyante réussite ? Cet ascendant, cette pureté angélique au plus fort des batailles ? Ses contemporains répondent : le secret de Jeanne ? C’était sa prière. Les chroniqueurs nous l’ont décrite priant à l’écart, au soir d’une bataille. L’un de nos poètes l’a dit mieux que quiconque :

“Et ce grand général qui ramassait les bourgs

Comme on gaule les noix, avec un grand épieu

N’était qu’une humble enfant perdue en deux amours,

L’amour de son pays parmi l’amour de Dieu”.

(Eve)

Puis vint le sacrifice. On sait comment elle fut faite prisonnière par traîtrise à Compiègne. Deux ans de captivité. Le bûcher de Rouen n’est pas loin. Il fallait cette flamme brûlante au cœur du Pays.

Aux heures sombres de notre histoire, il y aura toujours cet ange gardien de la France…

Sa jeunesse, son sourire, sa loyauté envers Messire Dieu premier servi, cette familiarité avec le divin et cette merveilleuse alliance entre la nature et la grâce ; ses larmes, sa solitude et son douloureux martyre offrent aux Français un temple du souvenir, où l’âme se recueille et s’interdit de démériter.

Ainsi soit-il.

Retour en haut